Penser ethnique ou pas
LA CHRONIQUE DE FAVILLA
Les Échos.fr
[ 09/07/08 ] -
« La très sérieuse « Revue française de sociologie » consacre un dossier de son dernier numéro au thème des statistiques ethniques. Convient-il d'autoriser l'identification ethnique des personnes faisant l'objet d'enquêtes statistiques ? La question est, depuis peu, vivement débattue. Le mérite de ce dossier est de présenter sans polémique les arguments en présence.
Le principal argument en faveur de l'établissement de telles statistiques en France, où elles sont interdites, est le bilan positif de cette très ancienne pratique aux Etats-Unis. Les experts considèrent que la connaissance de la réalité des catégories ethniques de la population, objectivée par des indicateurs économiques, sociaux, culturels, est une composante essentielle de la lutte contre les inégalités subies par ces catégories. Plus qu'une composante, les statistiques ethniques seraient même la condition préalable à la mise en oeuvre d'une telle politique. L'argument est simple et percutant : si l'on ne connaît pas la réalité des faits tels que ces catégories de personnes les vivent, il est impossible de définir une politique capable de la corriger. Une société « color blind », aveugle aux différences ethniques, ne peut pas les combattre.
L'argument le plus fort en sens contraire est ce que les sociologues nomment le caractère performatif de l'outil en cause, c'est-à-dire un outil qui, du fait même de son existence, contribue à créer l'objet qu'il est censé décrire. Concrètement, cela signifie que, si l'on questionne des personnes en les classant au départ dans des catégories ethniques, elles vont développer une conscience d'appartenance à ces catégories. A l'issue de son enquête, le statisticien pourra ainsi conclure que « les Noirs ont telle opinion sur tel sujet » mais cette observation aura été influencée dès l'origine par la création de la catégorie « Noirs ». En l'absence de celle-ci, les personnes concernées auraient peut-être exprimé une opinion totalement déconnectée de la couleur de leur peau.
Le risque idéologique que recèle cette controversée statistique est donc sérieux. Il l'est d'autant plus que le modèle républicain français est à l'évidence au coeur du débat. Tout l'effort des Lumières et de la Révolution française a été de libérer les hommes de leurs appartenances sociales, corporatistes, religieuses, en tant que celles-ci constituaient une identité définitive. De cette libération est née le concept d'universel qui est reconnu comme le plus beau cadeau que la France ait jamais fait à l'humanité, sous réserve de la contribution de Kant. Faut-il jeter ce concept par dessus bord au prétexte que son efficacité à produire de l'égalité s'est affaiblie ? Ou bien doit-on conserver la catégorie universelle de « pauvres » en sachant que toute politique contre la pauvreté bénéficiera à beaucoup de « Noirs » mais sans que cette dernière catégorie soit explicitement visée ? Le débat reste ouvert mais l'on mesure mieux qu'il déborde largement les enjeux statistiques.»
Source : http://www.lesechos.fr/info/analyses/4750232-penser-ethnique-ou-pas.htm
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1 commentaire:
La question est complexe, mais je voudrais dire un petit mot de ce que j'en pense, dans les limites de mes connaissances, car c'est intéressant, en fait.
D'abord, une réflexion personnelle. Que ce soit dans un sondage ou dans un recensement statistique, moi, quand on me demande la couleur de ma peau, ou si je suis noir ou blanc, ou caucasien, nippon, etc., je ne répond pas à celà. S'il y a un choix de réponse et qu'on peut se désister, je me désiste, et s'il n'y a pas moyen de se désister à cette question, je ne rempli pas cette enquête, tout simplement, c'est tout. Car, pour moi, de tels genres de statitistiques sont racistes, et elles sont d'ailleurs interdites au Canada, je pense, à part les questions relatives à l'indianité, qu'on rencontre souvent, et qui sont nécessaires pour l'application des lois (relatives aux Amérindiens). Alors, si, par exemple, c'est sur internet, et que ça vienne de n'importe où, moi, comme canadien, je dois m'en tenir aux lois canadiennes, et si des questions sont illégales au Canada, je ne dois pas répondre à cela.
Maintenant, le contexte de cet article est ambigü, selon moi, car je ne sais pas trop à quoi en veut venir l'auteur. Est-ce qu'il est vraiment sérieux quand il dit que les statistiques basées sur l'ethnicité ou la race, aux Étas-Unis, sont probantes, ou s'agit-il d'une propagande en faveur d'une approche raciste de l'interprétation des statistiques? Les américains ont eu, et ont encore, des théoriciens de la suprématie de certaines races sur d'autres, et leur activité et propagande a eu beaucoup d'impacts négatifs sur leur société; aujourd'hui, ces théories se sont révélées inadéquates et non scientifiques, de telle sorte qu'elles ne sont plus enseignées dans les écoles et universités, ni d'ailleurs appliquées dans la réglementation gouvernementale et privée, suivant l'évolution des mentalités et des moeurs. Alors, ça me surprendrait qu'il y ait encore une application et une interprétation raciale des statististiques aux États-Unis. L'ethnicité, c'est une peu différent, car moins spécifique à la race: celà peut avoir trait à la langue maternelle, la provenance d'origine dans le cas de l'immigration, mais aussi l'indianité et la négritude quand c'est nécessaire à l'application des lois et réglements, probablement. Je ne suis pas très précis, mais c'est l'idée générale ou approximative que j'en ai.
Appliquer celà à la France, comme l'article le propose ou le suggère, le contexte est assez différent. Il y a beaucoup d'immigrants africains et moyen-orientaux, mais aussi beaucoup d'ethnies aussi à l'intérieur de la France même, les Bretons, les Corses, les Normands, les ethnies différenciées par la langue ancestrale, comme les langues d'oc et d'oïl, etc.. Chacun de ces aspects, l'immigration et la multiethnicité ancestrale à l'intérieur même de la France, demande des approches différentes. D'un point de vue statistique, il se pourrait que l'auteur veuille tout simplement attirer l'attention sur l'opportunité de recenser légalement ces distinctions, dans un but sociologique et administratif, si celà ne se fait pas déjà, comme il le laisse entendre. Pour ce qui est de la couleur de la peau, je ne pense pas que celà soit possible, cependant, car cette distinction est pratiquement hors-la-loi dans tout le monde occidental, sauf par exception réglementaire, comme ça pourrait être le cas aux Étas-Unis, qui a une histoire différente et donc des devoirs différents. Mais dans ce dernier cas, comme tous les noirs américains ne descendent pas nécessairement d'ancêtres qui étaient esclaves aux États-Unis, j'imagine que les questions doivent être un peu plus spécifiques pour rejoindre le public visé par les programmes d'avancement, donc, ce ne serait pas le fait de la négritude comme telle qui ferait l'objet de recensement, mais plutôt la descendance. Dans ce contexte, donc, il ne s'agit pas vraiment de distinction raciale. Beaucoup de descendants d'esclaves sont d'ailleurs autant blancs et basanés que noirs comme tel, mais ils doivent quand même être bénéficiaires de programmes d'avancement, s'ils le désirent, donc être visés par les recensements. Je dis ça théoriquement, mais je pense que ça doit pas mal correspondre à la réalité.
Les statistiques gouvernementales en regard des citoyens, qu'on appelle recensements, sont réglementés, car c'est un sujet très délicat. Les questions qu'on nous pose sont scientifiques, oui, mais avec des balises imposées par les parlementaires, d'abord. Puis il y a encore celles imposées par les administrations responsables de l'établissement des modèles, et puis, finalement il y a aussi les normes et l'éthique professionnels qui entrent en jeu. Donc, le citoyen est en général assez bien protégé et il n'a pas trop à craindre qu'on lui pose des questions trop indiscrètes ou illégales. S'il y a quelque chose en regard de l'ethnicité, je pense qu'on peut être confiant que ça ne va pas au-delà de ce que permettent les lois internationales et nationales, et ça doit toujours être en relation avec des programmes ou activités gouvernementales spécifiques, donc avec une raison d'être, pas des questions indiscrètes pour rien.
C'est un article théorique que vous nous soumettez-là, monsieur Bouchard; j'en ai déjà vu de semblables. Les statisticiens, de même que les politiciens, les sociologues, les philosophes, etc., traitent de ces questions. Mon avis là-dessus est bien modeste, mais je m'y intéresse quand même, et je lis quelquefois là-dessus, quand ça me tente. Mais je sais un peu dans quel sens vous en parlez, car j'ai déjà lu un de vos articles sur le recensement canadien vers le milieu du 19e siècle, en regard des métis, qui n'étaient pas spécifiés ou tenus en compte. À ce sujet, vous aviez probablement raison de vous en offusquer, car le recensement c'est aussi des choix politiques. Mon impression est que le gouvernement voulait peut-être assimiler les métis, les considérer comme les autres citoyens, plutôt que comme des amérindiens ou autochtones comme tels. Et probablement aussi qu'il ne voulait pas les aider, donc, les ignorer et, s'ils avaient des droits spécifiques, ne pas en tenir compte. Alors, pour ne pas avoir d'obligations envers eux, il est possible que ce fut un choix politique de ne pas les considérer dans les recensements en cause. Ce n'était sûrement pas une faute ou une omission administrative ou professionnelle, car ceux qui préparent ces recensements le font d'abord en regard de ce que veulent les politiciens, et si ces derniers ne voulaient pas entendre parler des métis dans les recensements, c'est sûr qu'il y a dû y avoir des ordres de ne pas les mentionner ou en tenir compte. Et comme il ne devait pas y avoir de loi protégeant les métis, rien ne les obligeait, donc, à les recenser et à connaître leurs besoins.
Vous en savez toutefois plus que moi, et je ne vous apprend sûrement rien, c'est seulement une idée que j'ai, et je me trompe probablement sur plusieurs points, et c'est là que je m'aperçois que je suis ignorant et qu'il faudrait que je m'informe davantage. Ce n'est pas ma spécialité, mais c'est déjà beaucoup de s'y intéresser un peu. Quand j'ai le temps, je lis sur les Indiens, mais les métis, je ne m'y étais jamais intéressé comme tel, à part que je constatais que les femmes indiennes étaient souvent rejetées par leur comunauté lorsqu'elles voulaient vivre avec un canadien-français ou anglais; ça ne s'est pas passé que dans l'ancien temps, j'en ai souvent eu connaissance à notre époque, mais un peu moins aujourd'hui, probablement parce que les lois et réglements ont été resserrés à ce sujet.
Il est étrange que le gouvernement du Québec nie l'existence des métis aujourd'hui encore. Bien des preuves existent, pourtant, qu'ils sont parmi nous, ce, depuis des temps immémoriaux. On vante les mérites des coureurs des bois comme si c'était nos ancêtres à nous, mais en fait ce sont les ancêtres des métis, donc beaucoup d'entre nous sont des métis, il va sans dire. Pourquoi les ignorer? Il y a là une mystérieuse question politique, sociologique, historique, je ne sais trop. C'est compliqué.
Les statistiques de recensement, voilà une question intéressante, qui concerne bien des domaines d'activité de la vie des citoyens. Beaucoup de spécialistes étudient ces questions. Ce n'est pas négligeable d'en parler un peu, même si on ne règle rien, ça nous indique quand même qu'il y a un problème quelque part, et on ouvre un peu la porte pour en connaître la réponse ..., qui peut être bien loin encore.
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