
LARRY BELANGER OU LE CRI DE REVOLTE DU HERON BLEU
par Ismène Toussaint
« Nous sommes un peuple ou nous ne le sommes pas. Et si nous sommes un peuple, qu’on nous reconnaisse d’abord ! »– Russel Bouchard
Chef métis de Rivière-Verte (Nouveau Brunswick), Père de l’Union métisse Est-Ouest dans sa province et chef spirituel du groupe artistique L’Oeil culturel autochtone, Lawrence, dit « Larry », Bélanger, a toujours souffert de ne pas pouvoir s’exprimer dans un média. Par conséquent, je suis heureuse de lui offrir aujourd’hui cette tribune.
D’ascendance irlandaise, Malécite par son père (Nation Madawaska)et Micmac par sa mère, ce Métis de langue française a vécu dans la réserve de Saint-Basile (Etat du Maine) avant de s’établir au Québec puis au Nouveau-Brunswick. Animateur d’événements autochtones, c’est surtout un artisan ébéniste et un sculpteur œuvrant dans le plus pur esprit de ses ancêtres Premières Nations : « Depuis l’enfance, je fabrique des bijoux, des capteurs de rêves, des porte-bonheur, des paniers et des couteaux, explique-t-il fièrement. Les matériaux que j’utilise sont l’écorce de pin, le cèdre, le cuir, les os d’animaux, les plumes, les billes de bois ou de métal, jamais de perles en plastiques qui sont réservées à l’artisanat de pacotille. Depuis 1969, je sculpte essentiellement le bois et la pierre à savon ou stéatite : des personnages, des têtes d’Indiens en relief des animaux, des paysages ; je crée aussi des tableaux sur du cuir repoussé, du plomb et du plâtre naturel ou peint en respectant les couleurs de la nature et des créatures. Mais je ne confectionne que sur commande des régalias ou atours de cérémonie, des vêtements, des mocassins et des tambours car la préparation et le tannage du cuir exigent un grand investissement de temps : il faut laisser la peau de l’orignal, de l’élan ou du chevreuil tremper vingt-et-un jours dans une solution puis enlever le poil, la chair, le gras, jusqu’à ce qu’on parvienne à la peau crue, la babiche. A partir de là, je fabrique le cuir que j’enduis de cervelle d’animal, comme d’une huile, ce qui le rend plus souple et lui permet de conserver sa couleur. »
Dans ces jeunes Malécites et Micmacs auxquels il a vainement tenté de transmettre son art et qui se révèlent « davantage intéressés par le Nintendo et la drogue », Larry Bélanger voit le symbole d’une culture authentique déracinée comme un grand arbre par le spectre de la mondialisation : « Notre spiritualité, nos coutumes et nos traditions se meurent, confie-t-il d’une voix triste mais nullement résignée, il n’y a même plus de gardien de la pipe chez les Malécites et seuls les anciens parlent encore notre langue… Ici, l’argent est roi : les gens des réserves sont achetés, manipulés, dupés par les discours des gouvernements qui entretiennent les discordes entre autochtones pour imposer leur loi. D’ailleurs, ici, le gouvernement n’est rien d’autre qu’un cartel qui possède 80 % du pays, ne paie pas d’impôts et contrôle tout. On achète les maisons des autochtones à n’importe quel prix en leur faisant croire qu’ils sont gagnants et on les démolit comme des nids de hérons, on vend les terrains des réserves qui rapetissent de jour en jour : au moins, dans les siècles passés, nos aïeux pouvaient encore chasser et pêcher ! J’ai souvent dénoncé ces faits mais on m’a traité de révolutionnaire et prié de me taire par crainte des représailles. »
Poursuivant sa diatribe, notre interviewé expose la situation des Métis de l’Est, assurément l’une des plus douloureuses qui perdure au pays : « Il a fallu attendre cinq générations avant de prendre conscience de son identité, d’oser s’affirmer comme Métis et de s’interroger sur son devenir, déclare-t-il. Il y a longtemps que j’essaie d’aider les miens mais à la moindre velléité de rapprochement ou de ralliement, il s’est toujours trouvé quelqu’un pour nous mettre des bâtons dans les roues, acheter les leaders, vendre de fausses cartes d’identité métisse ou proclamer qu’il n’y a pas de Métis au Nouveau-Brunswick. L’Union métisse Est-Ouest que vous avez fondée avec Gabriel Dufault (1), Raymond Cyr, Archie Marin et d’autres – et là, je lève mon chapeau parce que ce n’était pas évident – nous a apporté un espoir, une dignité, une direction tant humaine que politique et culturelle : je suis fier d’en avoir été nommé l’un des Pères. »
Finalement, c’est tout le processus auquel les pouvoirs publics astreignent le peuple métis pour se faire reconnaître, que le leader remet en question : « Certes, les Métis sont reconnus dans la Constitution, sur le papier mais pas dans les faits, précise t-il. Il faut que chaque communauté ou nation métisse se fasse identifier au niveau provincial puis fédéral et cette démarche demande au minimum… dix ans ! Il faut qu’un ou plusieurs Métis se fassent prendre à chasser ou à pêcher en dehors des périodes et des lieux réglementaires : cela a-t-il de l’allure ? Il faut prouver qu’on appartient à une communauté historique : or, dans les Maritimes, la seule qui existe est celle que Pierre Lejeune avait fondée en 1622 en Nouvelle-Ecosse. Il y en a eu d’autres, bien-sûr, mais elles n’ont jamais été officielles et on nous oblige à courir après des papiers imaginaires, alors que notre culture est avant tout fondée sur la mémoire et la tradition orale. Par ailleurs, les avocats n’acceptent de défendre que les Indiens statués par la loi de 1867. Quant aux Blancs, ils nous méprisent, même si nombre d’entre eux ont du sang autochtone. Aussi vous comprenez que beaucoup de Métis préfèrent vivre sur les réserves avec les Premières Nations quoique celles-ci ne les acceptent pas non plus. Quand tu es Métis, tu es du mauvais côté de la médaille mais je me battrai jusqu’à la fin. Jusqu’à la fin, j’exhorterai les Métis ainsi que les Premières Nations à sortir des réserves et comme l’écrivait Louis Riel, à proclamer haut et fort que les terres, les bois, les eaux leur appartiennent, sous peine de demeurer à jamais les marionnettes des gouvernements et des profiteurs… »
Ismène Toussaint
Auteure et lien-fondateur de l’Union métisse Est-Ouest
(1) A signaler qu’après plusieurs années de bons et loyaux services, l’auteure des présentes lignes avait démissionné de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM), présidée par M. Gabriel Dufault, « pour des raisons de divergences d’opinions et d’objectifs », (lettre au président du 18 mai 2007) ainsi que de sa communauté d’adoption au Québec. Elle est toujours membre de l’Union métisse Est-Ouest et à l’automne 2007, a été nommée membre honorifique du Comité des Métis-à-Riel (siège social : Montréal) ainsi que de deux communautés métisses au Manitoba et en Alberta (note d’Eric Cartier, communicateur).
Texte tiré de : De : La Presse québécoise, avril et décembre 2007