Après avoir subi un cuisant échec devant la Cour d'appel du Québec qui a renversé (jugement du 28 avril 2006) l'ordonnance de sauvegarde émise l'an dernier en faveur des Innus de Pessamit par la Cour supérieure, le chef Raphaël Picard ne baisse pas pavillon et promet de revenir devant les tribunaux —la Cour suprême du Canada s'il le faut !— pour faire valoir les droits ancestraux de sa bande. Dans cet autre jugement aux considérants aussi surprenants que conséquents, le chefs risque gros, très gros même, car ce ne sont plus seulement les prétentions du chef versus l'aménagement du territoire dont il sera question mais bien du titre aborigène lui-même. À mon avis, c'est là un net recul pour les Ilnutsh, car ce titre ils l'avaient déjà en poche, dans le principe et dans les faits, sans traité formel, avec la signature de l'Approche commune le 31 mars 2004. Les autres chefs, qui attendaient dans le silence le prononcé du jugement, ont lieu d'être inquiets, puisque le titre aborigène, pour ceux qui ne savent pas, c'est le droit ancestral le plus important, le droit inaliénable qui confirme : 1- le droit naturel du premier occupant ; 2- celui de la propriété du territoire ; et 3-, celui du droit de regard sur les éléments qui s'y conjuguent. Ce qui n'est pas rien quand on se dit des « Premières nations » du Canada !...
Ce matin, mercredi 3 mai 2006, en réplique à ce cuisant échec, contenant avec peine ses émotions, le chef Picard remet fer et feu sur l'enclume ; il annonce d'ajouter à sa poursuite une requête en nullité pour faire annuler les permis d'exploitations de 26 compagnies forestières, et une requête amendée dans laquelle il prétend que le territoire revendiqué fait partiellement partie de la Convention de la Baie-James, une convention qu'il n'a pas signé. Cette affaire est donc loin d'être terminée, puisque la Convention de la Baie James a été signée par des Cris et des Inuits et qu'il y a là matière à conflits juridiques majeurs selon le concept jurisprudentiel de « l'exclusivité des droits ».
Et si l'on tient compte du fait —dont il a bien pris soin de ne pas évoquer— que les Métis de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan sont présentement devant les tribunaux dans une requête en approvisionnement pour faire valoir leurs propres droits dans l'affaire de l'île René-Levasseur, nous sommes loin de la conclusion de cette cause historique qui risque d'embrasser toutes les autres. En effet, le chef Picard ayant plaidé l'arrêt Haïda (qui oblige les gouvernements à consulter et à négocier de bonne foi) et ayant été défait sur ce point crucial (puisqu'il a plutôt été démontré le contraire), il s'est lui-même obligé à en reconnaître les effets et conséquences eu égard à d'autres groupes autochtones placés dans cette situation, dont les Métis de ce territoire qui s'estiment lésés à la fois par les gouvernements supérieurs et par les agissements des Ilnutsh qui font comme s'ils n'existaient pas (la bonne ou mauvaise foi des uns et des autres ne sera donc pas difficile à démontrer dans le cas des Métis, puisqu'ils sont totalement évacués du jeu, et que le gouvernement du Québec témoigne d'un total mépris à leur égard).
En conclusion, si les Ilnutsh ont raison de ne pas pavoiser ces jours-ci avec les effets pervers de cette cause où l'un d'entre eux s'applique à étirer l'élastique jusqu'à son point de rupture, les Métis de la Boréalie voient, pour leur part, se rapprocher les échéances où ils ont un important rendez-vous avec l'Histoire, un rendez-vous qu'ils entendent ne pas manquer...
Russel Bouchard
Extrait du jugement du 28 avril 2006, dans l'affaire de l'île René-Levasseur :
«4. Dans l’arrêt Haïda cité précédemment, la Cour suprême a noté qu’à cause de leurs exigences, les procédures mentionnées plus haut peuvent ne pas donner satisfaction aux peuples autochtones dans le cas où il y a violation apparente de leur titre aborigène ou de leurs droits ancestraux. En conséquence, la Cour suprême a enseigné que, lorsqu’un gouvernement a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’un titre aborigène ou d’un droit ancestral et qu’il envisage de poser des actes qui sont de nature à avoir un effet préjudiciable à ce titre ou ce droit, ce gouvernement a l’obligation de consulter le peuple autochtone en cause et, si nécessaire, d’adopter des mesures d’accommodement.
5. Il résulte que, dans ces circonstances, si un gouvernement ne consulte pas le peuple autochtone, celui-ci jouit d’un recours supplémentaire (appelons-le « La requête Haïda ») à ceux que sont l’injonction finale, l’injonction interlocutoire, l’injonction provisoire ou l’ordonnance de sauvegarde. En d’autres mots, sous réserve de ses procédures en injonction et indépendamment de celles-ci, le peuple autochtone qui prétend ne pas avoir été consulté ou ne pas jouir de mesures d’accommodement appropriées peut, par une requête Haïda, faire constater l’absence de consultation ou l’insuffisance des mesures d’accommodement et obtenir une réparation quelconque. Ainsi, dans un cas donné, avant même que le tribunal n’entende les parties sur la requête pour injonction finale ou sur la requête pour injonction interlocutoire, il peut décider que le peuple autochtone aurait dû être consulté, déterminer les mesures d’accommodement qui auraient dû être prises et ordonner des mesures réparatrices. Le jugement sur cette requête spéciale n’a rien à voir avec les jugements qui seraient éventuellement rendus sur la requête pour injonction interlocutoire ou la requête pour injonction finale. En effet, si, par le jugement final, il allait être déclaré que le peuple autochtone ne jouissait pas d’un titre aborigène ou d’un droit ancestral, cela n’aurait aucun effet sur le jugement rendu sur la requête spéciale. Le jugement qui aurait accueilli la requête Haïda aurait été régulièrement prononcé sur l’apparence d’un titre aborigène ou d’un droit ancestral et en application du devoir du gouvernement d’agir honorablement à l’endroit du peuple autochtone.
6. Comme la requête Haïda est en réalité une procédure interlocutoire, en théorie rien ne s’oppose à ce que la partie requérante recherche une ordonnance de sauvegarde en attendant que le tribunal puisse entendre la requête. Mais, dans ce cas, encore faut-il que la situation soit d’une extrême urgence. »
mercredi, mai 03, 2006
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