La presse du Québec en fait largement état depuis plus d'une semaine, la communauté indienne de Mashteuiatsh (environ 2 400 habitants) reçoit du grand monde, dans le cadre du Forum socio-économique des Premières Nations qui se déroule (du 25 au 27 octobre) à un jet de pierre de la ville de Roberval « on the Lake St John ! » Une première au pays !
Dans l'esprit du chef Ghislain Picard (APNQL) et des organisateurs, ce forum est jugé d'une importance capitale pour l'avenir des peuples « autochtones » du Québec (je dis bien « autochtone »), car il s'agit là de discuter, en primauté, de l'avenir socio-économique de ces gens qui, n'a-t-on de cesse de nous le répéter, étouffent dans leur petit monde de réserves qui déborde de tout bord tout côté vers la ville qui n'est décidément pas outillée pour les y accueillir. L'affaire est en tout cas prise très très au sérieux par le premier ministre du Québec, Jean Charest, et par le ministre fédéral des Affaires indiennes, M. Jim Prentice, qui ont accepté de se déplacer ici pour coprésider l'événement avec M. Picard, alors que l'effondrement de l'industrie forestière n'a pu attirer le premier ministre dans nos murs, bien que le Saguenay–Lac-Saint-Jean contribue pour 25% de la matière ligneuse utilisée au Québec !
Appelé à répondre aux questions de l'animatrice Myriam Ségal sur les ondes de la radio locale de CKRS qui lui demandait (à 12h. 21, le 24 octobre) « pourquoi ne pas avoir associé les associations de Métis », le ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec, M. Geoffrey Kelley, a sèchement répondu que, « pour le moment, la position du gouvernement du Québec, [est qu']il n'y a pas de communauté métisse. Et je souligne communauté métisse au Québec ». Pour être bien sûr qu'il allait être bien compris et bien cité, et pour répondre à l'animatrice qui lui demandait alors s'il se rendait bien compte « de la gifle » qu'il venait « de servir à pas mal de monde dans notre région », M. Kelley a renchérit en soutenant qu'il n'y avait pas de communauté métisse à Chicoutimi et que « les bâtisseurs de la communauté de Chicoutimi étaient avant tout les personnes qui arrivaient de Québec, de Montréal, et d'autres régions du Québec », et qu'il fallait s'en tenir à la jurisprudence du jugement Powley disant qu'une communauté métisse distincte doit avoir des « racines loin dans le passé, et [que] la position officielle du gouvernement du Québec, c'est pas nouveau, est de, toujours, que ces communautés métisses n'existent pas au Québec ».
C'est là l'essentiel du propos du Ministre Kelley, et je ne crois pas avoir contrevenu aux règles de l'art de la citation par la manière de le présenter. Il n'en fallait pas tant pour soulever l'ire des membres de la Communauté métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan, qui se démènent depuis des mois et des mois, sans aide gouvernementale aucune, dans l'espoir de faire reconnaître, par les rouages de la démocratie, leur droits inaliénables à la vie, dont celui, fondamental, de la reconnaissance par ceux-là même qui sont constitutionnellement tenus de les protéger (entendons les gouvernements supérieurs). Un non sens, qui me porte à dire que M. le Ministre a perdu une bonne chance de paraître plus grand que nature, qu'il est totalement déconnecté de la réalité socio-politique et historique nous concernant, et qu'il est complètement dans le champ en ce qui concerne à la fois la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et l'histoire de Chicoutimi, le berceau historique et culturel du Peuple Métis de la Boréalie québécoise.
Pour un ministre qui a déjà été membre de la Commission de la culture (1994-1998), historien et anglophone en sus, l'énormité de la chose est d'autant décuplée qu'il me faut prendre le temps de lui rappeler la lourdeur conséquente de son propos public et sa totale méconnaissance de l'histoire de Chicoutimi. Cela étant, je lui répondrai d'abord en vertu des charges qui lui sont conférées dans son mandat de haut-fonctionnaire rattaché aux dossiers des communautés culturelles qu'il a un impérieux devoir de retenue et de réserve quand il est question d'une minorité ethno-culturelle qui réclame du reste son aide et sa protection, d'autant plus qu'il est déjà tenu de représenter son propre ministère dans au moins deux causes judiciaires où il est pris à partie par notre communauté pour avoir bafoué nos droits et contrevenu aux jugements de la Cour suprême du Canada en vertu du jugement Haïda (pour ne nommer que celui-là).
Pour deux, M. l'historien qu'il dit être devrait alors savoir qu'en histoire il est une vérité de La Palisse de dire qu'on ne peut prouver l'inexistence d'une chose puisqu'elle est sensée ne point avoir existé. Avant de proférer des sottises à la radio locale, M. le Ministre aurait dû être également mis au courant par ses professionnels de tout ce qui s'est écrit sur le sujet depuis deux ans, à l'effet que la localité de Chicoutimi a été justement fondée par le père des Métis de la Boréalie, Nicolas Peltier qui est arrivé chez nous en 1671 et qui y est mort en 1729 après avoir essaimé et mis au monde les premières bases du peuple Métis ; que les Métis étaient là, en 1842, lorsque le Métis chicoutimien Peter McLeod est venu y ouvrir une scierie ; qu'ils étaient là en 1851, lors du premier Recensement fédéral, et qu'ils y sont encore aujourd'hui, plus vivants que jamais. Et il faut de suite le rétablir sur le chemin de la vérité en lui apprenant que les colons qui sont venus s'établir dans notre suite, à partir de 1842, ne viennent ni de Québec ni de Montréal comme il l'a erronément affirmé sur les ondes, mais de Baie-Saint-Paul, de La Malbaie, de Saint-Urbain et des environs de Charlevoix.
Pour trois (le jugement Powley et la Cour suprême), M. le Ministre aura l'occasion, à compter de samedi prochain, jour du lancement officiel du livre « La grande marche du Peuple oublié », de bien apprécier toutes ses errances à ce sujet. Il pourra apprendre que le jugement Powley ne dit pas ce qu'il dit y avoir lu, qu'il est une suite des jugements Van der Peet et Delgamuukw, que la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones du Canada (1996) soutient le contraire de ses assertions, et qu'il devra lui-même, devant l'histoire et au regard du jugement Haïda (2004), reconnaître ce que nous sommes et s'excuser de nous avoir si inélégamment insulté sur la grande place publique.
Pour quatre, je comprends qu'à travers la voix du Ministre, c'est l'esprit d'un conquérant qui s'est exprimé, et cela il faut de suite lui dire que nous n'en sommes pas à une gifle près au visage qui nous est assénée par cette sorte de monde. Si M. le Ministre voulait semer une commotion et susciter le réveil chez Nous, son voeu est exaucé. Nous n'apprécions pas ! Mais alors là pas du tout...
Russel Bouchard
Historien et Métis
25 octobre 2006
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