La nation divise le pays!
Hélène Buzzetti
Édition du samedi 11 et du dimanche 12 novembre 2006
Mots clés : autochtones, nation, Québec (province), Canada (Pays)
Les anglophones préféreraient accorder le statut de nation aux Métis et aux autochtones plutôt qu'aux Québécois
Ottawa -- On s'en doutait, mais un vaste sondage pancanadien le confirme: la reconnaissance de la nation québécoise plaît aux francophones du pays mais agace profondément les anglophones. Ceux-ci sont même davantage prêts à accorder le statut tant convoité aux Métis et aux autochtones qu'aux Québécois.
Un sondage Léger Marketing, effectué pour le compte de l'Association d'études canadiennes et dont Le Devoir a obtenu copie, montre qu'il existe une grande confusion dans la signification du terme «nation». Non seulement les divers groupes au Canada n'accordent pas à ce mot la même signification, mais à l'intérieur d'un même groupe on n'accorde pas au mot la même portée selon qu'on l'attribue à une catégorie d'individus plutôt qu'à une autre. Beau problème!
«Je n'ai pas l'impression que leur conception de la nation est la même que celle qu'on attribue aux Canadiens, explique Jack Jewab, le directeur exécutif de l'Association d'études canadiennes. La nation veut dire différentes choses pour différents groupes. Ça soulève un problème important sur le plan intellectuel parce qu'on a tendance à utiliser le concept sans préciser de quoi on parle. Ça laisse la population dans l'ambiguïté, et cette ambiguïté est fortement représentée dans le sondage.»
Son groupe a commandé le sondage en partie à cause du débat faisant rage au sein du Parti libéral du Canada sur l'opportunité de reconnaître le Québec comme une nation. M. Jewab en conclut que le PLC devrait expliquer ce qu'il entend par là avant de poursuivre le débat. «Au parti qui nous a fourni la Loi sur la clarté [référendaire], je dis que, s'il y a un débat où la clarté est nécessaire, c'est ce débat-là!»
On apprend dans ce sondage réalisé auprès de 1500 Canadiens entre le 2 et le 6 novembre dernier que 93 % des répondants reconnaissent l'existence d'une nation canadienne. Et sur ce point, il n'y a pas de différence significative selon que l'on soit francophone (91 %) ou anglophone (94 %). Par contre, quand vient le temps d'accorder ce statut aux Québécois (moyenne de 48 %), aux Métis (48 %), aux Acadiens (45 %), aux autochtones (65 %) et aux francophones canadiens (45 %), la ligne de fracture linguistique apparaît.
Ainsi, si 78 % des francophones du Canada reconnaissent que le Québec forme une nation, seulement 38 % de leurs compatriotes anglophones pensent de même. L'écart entre les deux groupes est également élevé en ce qui concerne la reconnaissance des Acadiens (37 %) et des francophones (30 %), mais moins pour les autochtones (18 %) ou les Métis (13 %). La marge d'erreur du sondage est de 2,6 %, 19 fois sur 20.
La Constitution au menu
La reconnaissance de la nation québécoise soulève les passions sur la scène politique fédérale. Non seulement les militants libéraux, qui devront se prononcer sur la question à la fin du mois, sont-ils déchirés, mais les conservateurs non plus ne sont pas tous du même avis. Le ministre du Travail, Jean-Pierre Blackburn, n'a pas hésité à se prononcer en faveur de la nation québécoise, ce que le premier ministre Stephen Harper a refusé de faire jusqu'à présent.
«Quant à moi, il me semble que c'est évident que nous sommes une nation. Nous faisons partie des peuples fondateurs de ce pays, a déclaré M. Blackburn à la sortie de la Chambre des communes. Moi, je souhaite à un moment donné que ces négociations puissent revenir. Il va falloir en finir un jour pour pouvoir permettre au Québec, effectivement, de rejoindre la fédération canadienne. Quel sera le meilleur moment? Point interrogation.»
Les étoiles s'alignent pour que le Canada recommence à parler de la Constitution. Selon le Toronto Star, le gouvernement conservateur songerait à limiter, par un changement constitutionnel, le pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétences des provinces. Il s'agit là d'une des cinq conditions à l'acceptation par le Québec de la Constitution canadienne.
Le gouvernement Harper aurait vérifié avec plusieurs provinces, dont le Québec et au moins une province des Prairies, leur appétit pour un tel changement. Ainsi, Ottawa se limiterait à des responsabilités telles que la défense nationale, les relations internationales ou encore l'assurance-emploi, alors que les provinces s'occuperaient de la santé, de l'éducation et d'autres programmes sociaux.
Toujours selon le quotidien torontois, l'idée aurait gagné en popularité dans les cercles conservateurs, qui craignent que le débat libéral sur la nation ne détrône le PC comme le parti fédéraliste au Québec au profit du PLC.
De passage à Kitchener où il annonçait une nouvelle mesure en matière de justice, le premier ministre Harper a confirmé que limiter le pouvoir fédéral de dépenser figurait à son ordre du jour.
«J'ai dit à plusieurs reprises, même après l'élection de ce nouveau gouvernement, que je m'oppose et que notre parti s'oppose au pouvoir de dépenser du fédéral dans les compétences des provinces. À mon avis, un tel pouvoir de dépenser dans des compétences exclusives des provinces contredit l'esprit même du fédéralisme. Notre gouvernement est clair sur l'idée que nous n'avons pas l'intention d'agir d'une telle façon.»
Plusieurs minutes plus tard, au cours de son point de presse, M. Harper a pris la peine de préciser qu'en ce qui concerne «des amendements constitutionnels», «notre gouvernement pourra agir seulement quand la terre sera fertile».
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