Indiens et Métis du Saguenay,
soudés pour l’éternité dans la fosse commune du cimetière
Saint-François-Xavier de Chicoutimi
Dans ces circonstances, face à la réalité présente, persister à enterrer le peuple métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean dans le cimetière de l’oubli en le niant d’existence, n’est pas moins répréhensible et insoutenable que de nier tous les génocides de l’Histoire, lointains ou récents. Un peuple qui, en harmonie avec le peuple indien, a construit un « pays » ; un peuple qui a toujours occupé ce « pays », sans interruption, un peuple qui n’a jamais cessé d’exister dans ce même « pays » et qui demande d’être considéré comme un peuple. Un peuple qui est bel et bien vivant, puisqu’il y a là prise de conscience sur la foi de ce qui fut, donc rappel de la mémoire ; puisqu’il y là affirmation existentielle dans une réalité bien présente ; puisqu’il y a là désir manifesté d’une prise en charge de sa propre destinée collective.
Les faits d’histoire plus ou moins récents justifient et appuient sans ambages cette résurgence du peuple métis du Saguenay. En 1879, un événement historique assez exceptionnel dans l’histoire d’un peuple, s’est justement produit à Chicoutimi pour consacrer ce tout, au cœur même de ce qui fut le berceau du peuple métis, un lieu de mémoire dont les premières rencontres entre gens d’ici et gens d’ailleurs remontent à des temps immémoriaux. Parce que les temps n’y étaient plus et parce que les industriels de la forêt réclamaient alors cette place privilégiée située au cœur de la nouvelle ville de Chicoutimi, les autorités compétentes, politiques et religieuses, entreprirent de déménager les restes des corps inhumés jadis et naguère dans le cimetière de l’ancien poste de traite, et de les transférer, avec tout le respect qui sied en de telles circonstances, dans une fosse commune contiguë au cimetière Saint-François-Xavier, nouvellement béni par l’Évêque de Chicoutimi.
Tombé rapidement dans l’oubli dans le contexte obscurantiste et négationniste précédemment évoqué, le site ressortit de terre et fut remis à l’ordre du jour des événements de la vie chicoutimienne, plus vivant que jamais, le 1er octobre 1995110, lorsque l’auteur de ces lignes apprit son existence en parcourant le journal de deux témoins oculaires, les frères Jean-Baptiste et Ludger Petit. Ces derniers, des hommes très en vue à l’époque, suivirent avec force détails le cours de ces événements émouvants qu’ils notèrent dans leurs chroniques des 21 octobre, 24 octobre, 13 novembre et 16 novembre 1879, où ceux-ci révélaient finalement l’endroit exact de la fosse commune, et expliquèrent comment on s’y prit pour la combler des ossements de nos ancêtres qui ne sauraient mourir dans nos cœurs et nos esprits parce qu’ils sont en nous, parce que nous sommes une partie d’eux.111
L’historien Jérôme Gagnon, qui a réalisé récemment, pour le profit de la ville hôtesse, une étude en vue d’ériger un mausolée sur ce site sacré de la fosse commune112, estime qu’il y a là les restes d’au moins 99 sépultures dont l’inhumation remonte aux années 1676-1779 ; mais il refuse de mettre un chiffre sur le nombre des sépultures qui ont suivi jusqu’en 1852. Cette date correspond à l’inhumation du Métis de controversée mémoire, Peter McLeod Jr, dont les mânes côtoient d’ailleurs celles de Nicolas Peltier et de sa descendance, celles de Louis Chatelleraut qui y repose avec les siens, celles du grand chef Maratchikatik (inhumé par le père Laure, en 1721) et de tous ces autres, Indiens et Métis évidemment, qui y ont laissé leur dernier souffle après avoir partagé, dans un respect mutuel profond, leurs semences, leurs souffrances, leurs petits bonheurs et leurs espoirs113. Une fosse commune où sont réunis les restes et les mânes de nos ancêtres qui forment une portion de l’humanité en marche, un lieu de mémoire, de recueillement et de ressourcement qui marque un temps d’arrêt et indique le chemin qui reste à parcourir. Peut-il y avoir, en ce bas monde, une symbolique existentielle plus puissante, un lieu sacré plus lourd de sens, plus rassembleur ?
Indiens et Métis, composantes indissociables de l’histoire du Saguenay, fondement de la société présente, deux rameaux d’un même peuple. Cela étant, comment peut-on élever aux nues les uns en leur accordant toutes les prérogatives pour s’épanouir et réduire à néant les autres, si un tel endroit les réunit dans le sacré pour l’éternité ? Comment le peut-on si les deux collectivités humaines s’affirment, à juste droit, comme porteuses de leur propre continuité et de leurs propres espoirs ? Comment le peut-on si ces deux collectivités autochtones se réclament du droit inaliénable d’occuper un territoire en tant que tel, d’en partager ses ressources, d’aspirer, pour elles, les siens et leur descendance, au bonheur qui est à la source de toute humanité ? Comment le peut-on, expliquez-nous, si elles entendent, l’une par rapport à l’autre, se projeter collectivement dans l’avenir ?
Cette question à têtes multiples interpelle les consciences, toutes les consciences. Elle ne peut être réduite par la trépanation d’une composante de deux qui s’en réclame et qui entend s’affirmer après avoir été confinée aux oubliettes de l’histoire. Elle ne peut être ni éliminée par les porteurs d’une orthodoxie historiographique exclusive —donc péjorativement raciste— qui persiste et signe malgré l’évidence de leurs errances, ni radicalisée par les promoteurs politiques qui entendent spolier les uns au profit des autres si ce n’est du leur…
dimanche, février 19, 2006
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