La rencontre des deux peuples fondateurs
dans la vallée laurentienne :
traités d’alliance de 1603 et 1633
Existe-t-il, oui ou non, des assises historiques —et généalogiques— attestant de l’existence d’une communauté métisse au Québec, au Saguenay ? Et si oui quelles en sont les jalons historiques, le fondement culturel et la qualité présente dans notre société ?
La réponse à cette question délicate est loin de l’image d’Épinal. S’il faut en croire le « négociateur spécial pour le Québec » dans le dossier de l’Approche commune, M. Louis Bernard, qui a jugé bon de réagir instinctivement à la publication du jugement Powley, à sa « connaissance il n’existe pas et n’a jamais existé de communauté métisse au Saguenay–Lac-Saint-Jean ou sur la Côte-Nord »12, point à la ligne. S’il faut s’en remettre, en sus, aux commentaires tout aussi réactionnaires du ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec, M. Benoît Pelletier13, qui s’est empressé d’appuyer son négociateur sur cette controverse socio-historique en nourrissant les journaux de ses propres préjugés, la question ne se pose pas au Québec et elle ne se posera pas —surtout pas !— avant la signature du traité avec les Ilnutsh car, de son propre avis, « la présence de communautés de métis et indiens hors réserve est plus marquée dans d’autres provinces du Canada, dont l’Ontario par exemple »14. Et la question est loin de faire consensus si nous prenons en compte, a contrario des deux sophismes précédents, l’évaluation du père de l’ethnologie québécoise, Jacques Rousseau, un savant, faut-il le préciser, dont l’œuvre et la somme d’ouvrages à l’endroit des peuples autochtones canadiens pour lesquels il a consacré sa vie, ne cessent toujours d’étonner par sa pertinence : car, selon ce dernier, « plus de 40% des Canadiens français ont du sang indien. Et à partager leur pays nous avons fini par leur ressembler »15.
S’il faut interroger encore l’approche des plus pesées de l’anthropologue jeannois Georges Fortin, auteur d’une érudite thèse de doctorat16 déposée à l’Université Laval en juillet 2000 (donc rédigée avant l’annonce du projet de traité), cette question existentielle à l’endroit du peuple métis est déjà entendue, sinon pour tout le Canada du moins en ce qui concerne le Saguenay–Lac-Saint-Jean, royaume des « Bleuets ». Selon lui, « une évidence s’impose [pourtant] d’elle-même » quand on évoque cette question du peuplement régional et de son évolution socioculturelle : c’est « celle de l’occasion historique du double ensauvagement, phénomène régional s’il en est un, concept clé, de l’émergence de ce « Bleuet », lequel, après s’être innocemment approprié un territoire, celui des Kakouchaks, s’est empressé de revêtir la défroque du Décepteur, jouant à la fois des rôles dévolus à Carcajou, Mist’amisc et qui, comme pâle imitateur de Tshakapesh, ne peut s’empêcher de vouloir construire un monde.17 »
Pour tâcher d’amener un premier élément de réponse à cette question, socio-historique, culturelle, sprirituelle et politique fort complexe, qui ne rallie manifestement pas les avis et qui aura le mérite d’en soulever bien d’autres, il faut remonter à l’aube de l’histoire du Canada, à l’époque des premiers contacts euro-amérindiens, départ fracassant d’une révolution interethnique appelée par le fait d’histoire à produire les assises de la réalité ethno-culturelle saguenéenne et jeannoise d’aujourd’hui18. On se rappellera, à cet égard, qu’au printemps 1603, le 27 mai pour être plus précis, date historique s’il en est une au chapitre des relations euro-amérindiennes de la Laurentie, Samuel de Champlain, sous le commandement de François Gravé Du Pont, avait rencontré à l’entrée du Saguenay, au lieudit Pointe Saint-Mathieu (ou Pointe-aux-Allouettes), les chefs de l’alliance algique alors accompagnés d’une centaine de leurs congénères (Algonquins, Etchemins, Montagnais). Lors de cette rencontre mémorable, qui correspond au premier traité d’alliance euro-amérindien jamais noté dans les documents d’archives, les Français assurèrent ces gens d’une aide militaire dans leurs guerres contre les Iroquois, et obtinrent en retour le droit d’occuper le territoire, d’y établir à leur guise des lieux de rencontre et d’y développer leurs industries et l’objet de leur commerce19.
Telle que prévue, la guerre n’eut de cesse de se manifester entre les nations de l’alliance algique20 et les Iroquois, et l’histoire suivit ainsi son cours pour subir ses dénouements : en vertu de l’alliance de ce 27 mai historique, les Français assistèrent les premiers contre les seconds qui n’en étaient pas moins soutenus par les Anglais ; des lieux de peuplements furent fondés par les Français, en Acadie, à Tadoussac et à Québec ; et les Indiens alliés s’amenèrent en ces lieux nouveaux pour fuir les tueries intertribales, surmonter les famines épisodiques et y trouver, hélas, des maladies qu’ils ne connaissent pas. En 1633, après son retour à Québec, Champlain rassembla une dernière fois les chefs des nations21 amis, pour s’assurer de leur fidélité. Avec le chef algonquin Capitanal, un ami venu de Trois-Rivières à la tête d’une flottille de dix-huit canots, il conclut une seconde alliance qui l’autorisait, cette fois-ci, à construire une habitation à Trois-Rivières, et dans laquelle il invitait ces Indiens à marier leurs filles à leurs garçons pour ne faire plus qu’un peuple. L’affaire fit dès lors son chemin. À un pacte d’union militaire et commerciale conclut en 1603, s’ajoutait ainsi un pacte d’union ethnique et culturelle qui cimentait le premier et consacrait officiellement la rencontre des deux peuples fondateurs du Canada.
« Tu dis que les François sont venus habiter Kebec pour nous defendre, et que tu viendras en nostre pays pour nous proteger. Je me souviens bien d’avoir ouy dire à nos peres que quand vous estiez là bas à Tadoussac, les Montagnaits vous allerent voir, et vous inviterent à nostre déceu de monter çà haut, où nos peres vous ayant veus, vous aumerent, et vous prierent d’y faire vostre demeure. […] Quand tu viendras là haut avec nous, tu trouveras la terre meilleure qu’icy [à Québec] : tu feras au commencement une maison comme cela pour te loger (il designoit une petite espace de la main :) c’est à dire tu feras une forteresse, puis tu feras une maison comme cela, designant un grand lieu, et alors nous ne serons plus des chiens qui couchent dehors, nous entrerons dans cette maison, (il entendoit un bourg fermé :) En ce temps-là on ne nous soupçonnera plus d’aller voir ceux qui ne vous aiment pas : tu semeras des bleds, nous ferons comme toy, et nous n’irons plus chercher nostre vie dans les bois, nous ne serons plus errans et vagabonds. […]
La conclusion fut que le sieur de Champlain leur dit : quand cette grande maison sera faite, alors nos garçons se marieront à vos filles, et nous ne serons plus qu’un peuple. Ils se mirent à rire, repartans : Tu nous dis tousiours quelque chose de gaillard pour nous résiouïr, si cela arrivoit nous serions bien heureux. »22
dimanche, février 19, 2006
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