vendredi, mars 04, 2016

Le Saguenay–Lac-Saint-Jean, une région née du métissage


Courtoisie, Société historique du Saguenay


Il faut se méfier des historiens comme des économistes. Leur érudition ne garantie en rien l’infaillibilité de leurs propos. Aucun économiste au monde n’avait prévu la crise boursière de 2008-2009. Aucun historien ne peut prétendre à la stricte exactitude des faits du passé.

Même les plus rigoureux, comme Mgr Victor Tremblay, fondateur de la Société historique du Saguenay, transmettent leur vision de l’histoire à travers le prisme de leurs convictions. Comme le dit sans détour, l’historienne et polémiste bien connue, Russel-Aurore Bouchard, « Mgr Victor, par exemple, nous présente une vision toute épiscopale de l’histoire régionale. »

Après des années  de recherches et de voyages dans le temps, l’historienne Russel Aurore Bouchard croit avoir suffisamment amassé de preuves pour avancer que la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean est encore composée aujourd’hui à 75% de descendance métis.  Dans l’une de la centaine de publications dont elle revendique la maternité, «Le dernier des Montagnais», elle démontre que le Montagnais de l’arrivée des premiers européens n’existe plus. Tout au plus, les descendants autochtones d’aujourd’hui sont, selon elle, issus de croisement entre les rescapés de différents clans : Algonquin,  Atikamek, Huron, Abénakis, Cri et autres, épargnés de la maladie et des guerres.

Dans son dernier livre, «Naissance d’une nouvelle humanité au cœur du Québec», la percutante  historienne revient de nouveau sur le sujet. Elle trace, avec rigueur et un souci de l’exactitude  sentie, la passionnante histoire de ces mariages à la mode du temps entre coureurs des bois,  Écossais, Irlandais et sauvagesses. Ces ancêtres, souvent polygames, constituent la fondation même de tout le peuplement du territoire du Saguenay-Lac-Saint-jean.

L’auteure évoque au départ le cas de Nicolas Pelletier, fondateur des postes et missions de Chicoutimi et Métabetchouan en 1670, marié trois fois à des sauvagesses. Elle ajoute que tout au long du XVIIIe siècle que le parcours matrimonial de ces hommes n’était plus une exception. Évoquant le passage des Bacon,  Hervieux, Cleary, McNicoll  et quelques autres, elle écrit : «à eux seuls ces 11 hommes ont connu 30 mariages dont 23 avec des sauvagesses et sept avec des blanches.»

Dans ce magistral éditorial qui prend davantage l’allure d’une  thèse doctorale que de livre d’histoire, Bouchard va même jusqu’à juger sévèrement les chercheurs d’histoire et les anthropologues «qui ont eu tort de mettre dans le même terreau de reconstruction les indiens de la diaspora algique et huronne».

Faisant fi des tabous, elle n’hésite pas à corriger l’anthropologue et célèbre écologiste américain, Peter Farb, en avançant que contrairement à ce dernier, l’endogamie et le mariage entre proches parents n’est plus un obstacle à l’union d’un homme et d’une femme.

Déjà à la création de la première réserve créée par le Canada uni en 1853, environ 38 familles étaient reconnues posséder les critères pour y habiter. Et Bouchard constate dans cette  ethnogenèse du peuple métis de la Boréalie que parmi ces familles se trouvent déjà plusieurs métis. Et toujours, selon cette prolifique auteure, ce sont ces familles, somme toute, qui ont présidé à l’ouverture du Lac-Saint-Jean à la colonisation.

Richard Banford
Chroniqueur 

Richard Banford, a exercé la profession de journaliste et éditorialiste à la Maison de la presse de Chicoutimi pour les journaux Le Quodien et Le Progrès Dimanche, de 1973 à 2005. En 2005, il prend sa retraite et occupe  la fonction d’attaché politique, principalement comme conseiller en communication auprès du maire de Ville de Saguenay. Dans ses temps libres, pour maintenir la forme et l’habitude de l’écriture, il livre ses réflexions sur divers sujets de l’épopée historique de faits divers, des us et coutumes de la région. Il a  été associé longtemps au spectacle de la « Fabuleuse histoire d’un Royaume »  à  titre de comédien.