dimanche, février 26, 2006

Les Métis, Québec avoue enfin son obligation constitutionnelle de consulter les autochtones... TOUS LES AUTOCHTONES !

Après avoir reconnu ses obligations envers les Ilnutsh, Québec doit maintenant respecter celles qui lui incombent envers ses Métis

La nouvelle nous est tombée dessus sans qu'on s'y attende. Elle nous arrive du journal La Presse qui vient de nous informer que le gouvernement du Québec a sorti l'artillerie lourde, vendredi dernier (25 février), en Cour supérieure, en offrant aux Ilnutsh du chef Picard (Betsiamites) une médiation devant un juge afin de régler l'épineux contentieux de l'île René-Levasseur et des 75 000 km carrés de forêts qui y sont associées. Il semble que le gouvernement du Québec, par la voix de son avocat, ait finalement trouvé la manière de se tourner sur un 10 ¢ents en admettant, ce qu'il n'avait pas le choix d'admettre et pour la toute première fois de son histoire, qu'il a une... « obligation constitutionnelle de consulter et d'accommoder les autochtones » sur l'exploitation des ressources naturelles de cette immense territoire de la Côte-Nord du Saint-Laurent.

Retenez-là bien celle-là, car elle est un précédent historique auquel le gouvernement du Québec ne pourra plus se soustraire ni se défiler dans le dossier, encore plus controversé, de l'Approche commune (1, 450, 000 km carrés), eu égard, cette fois-ci, aux Métis de la Boréalie qui réclament la quatrième chaise à la table des négociations justement au nom de ce principe fondamental mis en force par la plus récente jurisprudence de la Cour suprême, dont le jugement Haïda (l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des forêts), [2004]
R.C.S. 73).

En reconnaissant ainsi son obligation de consulter les Ilnutsh, Québec a, semble-t-il, voulu devancer sa politique de consultation appelée à être déposée d'ici peu par le secrétariat aux Affaires autochtones. Pour ce faire, le gouvernement a libéré le juge Réjean Paul de ses fonctions afin d'établir, les bases de pourparlers et d'accords entre le gouvernement, les forestières et les Ilnutsh. On remarquera que les Métis n'y sont nulle part mentionnés ; ce qui rend pour l'heure le gouvernement du Québec directement coupable de contrevenir aux conclusions du jugement Haïda qui est pourtant un cas de jurisprudence aussi formel qu'incontournable, un jugement qui le place dans une position insoutenable eu égard à ses obligations souveraine « de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts [qui] découle du principe de l’honneur de la Couronne », et ici, rappelle la Cour, « Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes ».

Ainsi, conviennent textuellement les juges de la Cour suprême dans l'arrêt Haïda : « L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de trouver des accommodements à leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne, auquel il faut donner une interprétation généreuse. Bien que les droits et titre ancestraux revendiqués, mais non encore définis ou prouvés, ne soient pas suffisamment précis pour que l’honneur de la Couronne oblige celle‑ci à agir comme fiduciaire, cette dernière, si elle entend agir honorablement, ne peut traiter cavalièrement les intérêts autochtones qui font l’objet de revendications sérieuses dans le cadre du processus de négociation et d’établissement d’un traité. L’obligation de consulter et d’accommoder fait partie intégrante du processus de négociation honorable et de conciliation qui débute au moment de l’affirmation de la souveraineté et se poursuit au‑delà de la reconnaissance formelle des revendications. L’objectif de conciliation ainsi que l’obligation de consultation, laquelle repose sur l’honneur de la Couronne, tendent à indiquer que cette obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci. La prise de mesures de consultation et d’accommodement avant le règlement définitif d’une revendication permet de protéger les intérêts autochtones et constitue même un aspect essentiel du processus honorable de conciliation imposé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. »

Que cela soit dit, écrit et répété pour l'Histoire qui s'écrit : devant la loi nul n'est supposé plaider l'ignorance. Et le gouvernement du Québec serait bien mal inspiré de refuser à l'un (les Métis) ce qu'il accorde à l'autre (les Ilnutsh) en vertu de la loi suprême de ce pays. Eu égard aux revendications du peuple Métis de la Boréalie et de cette règle jurisprudentielle dont il vient de reconnaître la pleine validité (même s'il n'avait pas le choix !), le gouvernement du Québec doit : primo, considérer que ce peuple a des droits réels, bien que ceux-ci ne soient pas encore définis ; secundo, il doit prendre note et fait de leurs revendications ; tertio,il doit les consulter avant de signer quelque traité que ce soit avec un groupe autochtone ; et, quarto, il doit doit protéger leurs intérêts dans l'attente d'un règlement final, négocié ou décidé par la Cour. À lui de choisir là où il s'en va nous concernant. Car il est écrit dans notre histoire que Nous y allons...

Russel Bouchard
26 février 2006
Le Métis

samedi, février 25, 2006

Lettre à mes frères et sœurs Autochtones d’Amérique

Le 1er juillet 1992, j’ai réalisé le grand rêve de ma vie. Avec ma femme, un fils et un neveu, j’ai été faire unnpèlerinage à Wounded Knee et je suis passé par Pine Ridge puis par Little Bighorn et Chadron où j’ai serré la main du fondateur du Musée, Mr Charles Hanson Jr, un ami et collègue de travail qui s’est consacré, comme moi et avec moi, à l’histoire des armes de traite et à l’histoire de la traite des fourrures en Amérique du Nord. Sur la fosse commune des martyrs de Wounded Knee, j’ai pleuré sur votre drame qui est aussi le mien à quelque part. Sur le champ de bataille de Little Bighorn, en mon for intérieur, j’ai été solidaire de la victoire des Sioux qui, encore là, était un peu la mienne. Et, au mémorial Crazy Horse, j’ai été surpris d’une étrange fierté, comme si l’Esprit qui sommeillait en mon cœur s’était mis à bouger en moi, à me parler, à m’inciter au réveil. Pour être bien certain de mes sentiments, j’y suis retourné trois ans plus tard (été 1995), seul avec ma femme. Ce second pèlerinage dont le sens fut consacré par une visite sur la tombe du Métis Louis Riel, assassiné par le gouvernement du Canada pour des raisons politiques, confirma le message contenu dans les rêves surgis du premier.

De notre premier voyage, qui s’est étiré sur près de trois semaines, j’ai personnellement tenu un journal intime. Idem pour le second. Étant moi-même Métis (Montagnais – Canadien français et Écossais), partant de ce ressourcement, j’ai su qui j’étais vraiment et, en mon âme, par le lien de mémoire, par mon éducation et par ma culture saguenéenne, je me suis senti solidaire, totalement solidaire du peuple autochtone (entendons les Métis, les Indiens, les Inuits et les Canadiens français). La tragédie qui affecte les Indiens est donc également la tragédie qui m’affecte en tant qu’Autochtone puisque les Métis canadien-français du Québec combattent —moi en tête en tant que « lien de mémoire »—pour être reconnus officiellement comme la 12e nation autochtone du Québec.

Nous parler avec les liens du cœur et de l’Histoire qui nous unissent, c’est nous reconnaître mutuellement, s’assister, s’accompagner dans la place qu’il nous faut prendre dans la longue caravane de l’humanité. Je vous offre donc d’étendre ce lien de l’amitié entre votre peuple et le nôtre,

Russel Bouchard
Le Métis
Chicoutimi, Qc, Canada
2 décembre 2005

vendredi, février 24, 2006

Les municipalités du Lac-Saint-Jean, à la remorque du pouvoir indien...

Cette enfilade est le résultat d'un échange courriel que j'ai (R.B.) eu ce matin, 24 février, avec M. Louis Arcand, journaliste et morning man vedette à CHRL radio Roberval, à propos d'une nouvelle passée inapperçue dans le dossier de l'Approche commune. Ce jeu de questions-réponses, associé aux nouvelles parues dans le journal Le Quotidien ces jours derniers, met en lumière la communauté d'intérêts très étroite qui existe entre les municipalités du Haut du Lac-Saint-Jean et les Ilnutshs de Mashteuiatsh, par opposition aux intérêts des municipalités du Saguenay dont la population autochtone, elle, est à fortiori Métisse.


Russel Bouchard
à Louis Arcand @
(CHRL radio, Roberval)
Chicoutimi, le 24 février 2006
Bonjour M. Arcand,
La semaine dernière la radio nous a informé que des municipalités du Haut du Lac, dont Roberval et St-Félicien, se sont unies dans un comité spécial pour suivre le dossier de l'Approche commune. Les journaux distribués au Saguenay n'en n'ont pas causé. Pouvez-vous m'informer sur cette affaire. Qu'en est-il au juste ? Et pourquoi ce silence chez nous ?
Merci
Russel Bouchard

Louis Arcand
à Russel Bouchard @
CHRL radio, Roberval, le 24 février 2004
Le journal le Quotidien a un nouveau journaliste dans le Haut de Lac. Ce dernier ne savait pas que cette nouvelle avait déjà été diffusé et a écris un texte la dessus dans l'édition de samedi dernier, texte repris par Radio-Canada le week-end dernier. Alors moi sur les ondes lundi, j'ai fait une entrevue avec Denis Lebel. Monsieur Lebel a nié l'information voulant qu'il demandait un siège à la table de négociation et s'est surpris qu'une nouvelle comme celle la fasse la manchette.
Louis Arcand
Directeur des opérations radio
Groupe Antenne 6À Louis Arcand @
(CHRL radio, Roberval)



Russel Bouchard
à Louis Arcand @
(CHRL radio, Roberval)
Chicoutimi, le 24 février 2006
Merci pour ce premier bout d'information. Eu égard à ce groupe d'intérêts, et dans cette suite, de quoi a-t-il été question la semaine dernière ? Quelle est l'objet de cette récente sortie publique ? Pourquoi ont-ils réagi ?
Merci
Russel Bouchard


Louis Arcand
à Russel Bouchard @
CHRL radio, Roberval, le 24 février 2004
Pour votre information,
C'est une veille nouvelle. L'an dernier l'Union des Municipalités du Québec, préoccupé des intérêts de ses membres avait mandaté le Maire de la Ville de Roberval, Denis Lebel pour « surveiller » les négociations. C'est une nomination plus symbolique qu'autre chose.
Louis Arcand
Directeur des opérations radio
Groupe Antenne 6



Russel Bouchard
à Louis Arcand @
(CHRL radio, Roberval)
Chicoutimi, le 24 février 2006
M. Arcand,
Je vais vérifier dans les journaux, car il est possible que ce texte du Quotidien m'ait échappé, même si je prends bien soin de tout ramasser et mettre en filière depuis un quart de siècle. Cela dit, vous voyez à quel point cette affaire et complexe et pavée de détails pointus qui font toutes la différence des choses entre la réalité (là où les politiciens travaillent), la fiction (là où Benoît Bouchard travaille) et l'interprétation (là où vous et moi travaillons en tant que journaliste et historien).

Ainsi, je vous éveille à ce détail qui n'en n'est pas un dans le dossier de l'Ashuapmushuan avec les propos de Mulclair ce matin, in Le Quotidien, qui indique sans le dire clairement —il porte des gestes au nom de son gouvernement et de l'État, c'est très important— que le gouvernement Charest est en train de réaffirmer sa souveraineté sur le territoire et les ressources naturelles (et Dominique n'a pas encore compris ce qui se passe), souveraineté que l'État québécois a perdu depuis la signature de l'Approche commune. C'est pas rien.

Si les allochtones (c'est-à-dire Vous) ne sont pas sortis du bois, comprenez que les Indiens ne le sont pas plus et qu'ils sont sur une voie d'évitement. Car il y a maintenant les Métis, incontournables, par l'article 35 et les jugements de la Cour suprême. Et si les Indiens ne veulent pas comprendre que c'est en se joignant à eux qu'ils vont avoir leur traité, ils sont perdus, ils n'auront que l'illusion d'un traité, qu'une signature au bas d'un document qui ne voudra plus dire grand chose. La question est maintenant de savoir : que veulent-ils au juste ? Veulent-ils tout ? Ou veulent-t-ils récupérer la part des prérogatives qui leur revient de bon droit ? Faudra poser la question à M. Dominique puisque vous semblez très près de lui ?
Russel Bouchard


Louis Arcand
à Russel Bouchard @
CHRL radio, Roberval, le 24 février 2004
Je vous réponds pour une dernière fois ce matin. Gilbert Dominique est fâché.... c'est simple, il veut parler de Gouvernement à Gouvernement et je crois qu'il est choqué d'être relégué au simple poste de participant au comité annoncé.
Bonne journée
Louis Arcand



CONCLUSION DE RUSSEL BOUCHARD
L'article en question est signé Louis Potvin et a été effectivement publié dans « Le Quotidien » du 11 février 2006, sous le titre « Centre écologique du Lac-Saint-Jean, la CRÉ appuie les Autochtones ». Il est dit, en gros, que l'avenir du Centre écologique de l'endroit est entre les mains de la communauté de Mashteuiatsh et que la Conférence régionale des élus du Haut du Lac (la CRÉ) accepte d'épauler les Autochtones pour l'acquisition du bâtiment et pour son expertise. Première remarque me concernant, ces gens assimilent toujours les Indiens aux Autochtones alors qu'ils ne sont qu'un groupe d'autochtones pami les autres (qui sont les Indiens, les Inuits et les Métis) ; deuxièmement, ils ignorent les Métis au mépris de la réalité ethno-culturelle de la Boéalie ; troisièmement, cette région (entendons le Lac-Saint-Jean, en opposition au Saguenay) en est rendue à s'en remettre au pouvoir politique des chefs de Mashteuiatsh pour pouvoir tirer son épingle du jeu sur son propre territoire municipal. C'est l'aveu que le pouvoir des régionaux ne vaut que pour l'illusion qu'il permet d'entretenir...

jeudi, février 23, 2006

Benoît Bouchard et l'Approche commune, plus mêlé que ça tu meurs !...

Richard Harvey
à Louis Arcand, CHRL radio, Roberval

Monsieur Arcand
Votre entrevue avec Benoît Bouchard le 18 de ce mois sur la renaissance de l’Approche commune avait quelque chose de singulièrement pathétique. C’était du réchauffé! Pauvre Benoît qui empoche les sous des contribuables à débiter sa leçon mal apprise comme un premier de classe qui a besoin de toute l’indulgence du monde pour le demeurer! Pauvre dinosaure de la diplomatie qui se croit obligé d’opiner, sous votre insistance, à toutes les infamies et les bassesses de cette époque en déclarant tout net et sans vergogne qu’une mauvaise entente avec les Innus vaut mieux que n’importe quel procès!

Avez-vous pensé un instant à l’énormité de cette déclaration? C’est là nier le fondement même de notre société basée sur le droit. C’est nier l’esprit même des principes humanistes qui sous-tendent les constitutions de toutes les grandes démocraties modernes. C’est ouvrir la porte à tous les excès dont sont capables les politiciens et les ambitieux de ce monde au détriment du bien commun! C’est de cette façon que naissent les conflits les plus insidieux et les plus cruels; et l’histoire récente nous en donne la preuve tous les jours! Je suis sincèrement déçu de constater que cette histoire ne vous ait rien appris à vous aussi qui en entendez l’écho chaque matin! Un droit existe ou il n'existe pas, c'est tout. Les tribunaux existent justement pour éviter la censure, (voire la bigoterie) et jalonner l'application du droit dans l'intérêt du bien commun. Si une entente peut exister c'est tant mieux! Elle doit cependant correspondre aux critères de justice naturelle et satisfaire les parties. C'est à cette seule condition qu'elle devient acceptable!

Il est grand temps que nous parlions des vraies affaires dans ce dossier. M. Bouchard ne connaît strictement rien au droit autochtone et est manifestement dépassé par les événements. À la retraite définitive ça presse!

Mais comment donc empêcher ces baudets d’ânonner à tous vents!

Richard Harvey, L’Ascension, membre de la Communauté Métisse du Domaine du Roy et de la Seigneurie de Mingan.



NOTE de la maison :
Cette lettre se veut la réplique de Richard Harvey (Métis) aux propos tenus le 18 février dernier par Benoît Bouchard, qui a déclaré, à l'émission radiophonique matinale animée par Louis Arcand (CHRL ROBERVAL)... qu'il était préférable de signer une mauvaise entente avec les Ilnutsh que d'aller en procès contre eux. Incroyable (sic) ! Il est important de rappeler à nos lecteurs que M. Benoît Bouchard (rien en commun avec moi, Dieu soit béni !) est sensé représenter les intérêts des allochtones régionaux dans le dossier de l'Approche commune. Imaginez, ce Monsieur est mandaté par le gouvernement Charest pour être le trait d'union entre les promoteurs du traité et la population régionale qui n'a aucun autre moyen de se faire entendre en ses Parlements.

De la part d'un ex-minitre senior, le simple fait de débiter de tels âneries démontre à quel point ces gens, politiques autant que négociateurs gouvernementaux et avocats, méconnaissent les ressorts juridiques fondamentaux qu'ils sont en train d'actionner. S'il peut être préférable, parfois, dans une cause civile, de s'entendre hors cours pour éviter un procès (« mieux vaut une mauvaise entente que le meilleur des procès », dit-on alors), il faut comprendre par contre que, dans le cas de l'Approche commune, il ne s'agit pas de droits inviduels mais bien de... DROITS COLLECTIFS, ce qui est totalement différent.

Au cas où M. Bouchard (Benoît) l'aurait oublié, dans cette affaire il ne s'agit pas d'un procès où deux voisins se chamaillent pour une clôture mal placée, mais bien d'un traité où des gouvernements supérieurs décident à notre encontre —sans nous les Métis et les Canadiens français— d'accorder le titre aborigène (qui confère les titres du territoire, sapristi !) à 1,6% des nôtres. Quelqu'un peut-il expliquer à M. Bouchard (Benoît) la différence entre « droits individuels » et « droits collectifs »). C'est de deux choses l'une : où ce Monsieur est insconscient, et il n'a pas la compétence pour faire ce travail ; ou il en est parfaitement conscient, et il fait partie de cette cohorte de vendus qui essaient de nous en passer un autre par derrière (un sapin). Dans un cas comme dans l'autre, il est totalement inapte à faire le travail pour lequel il est engagé, mandaté, payé, et il faut demander son congédiement...

Russel Bouchard

mardi, février 21, 2006

Participez au débat ici ou ailleurs, mais participez...

L'espace des commentaires est maintenant activé. Si le coeur vous en dit, si vous avez des informations ou des remarques susceptibles de faire avancer notre cause et notre histoire, faites-nous en part au bas de la rubrique qui vous intéresse. Aidez-moi à vous soutenir dans la lutte pour l'obtention de nos droits ancestraux...

Russel Bouchard
Le Métis

D'ici à ce que l'habitude de causer chez soi se prenne, le débat sur la cause des Métisses de la Boréalie se poursuit dans les forums de Vox Latina, à partir de mon commentaire, «Les Montréalais ne pourront faire seuls l'indépendance !» (http://www.voxlatina.com/forums/viewtopic.php?t=1493). Si l'affaire vous intéresse, allez-y et mettez-y votre grain de sel constructif.

lundi, février 20, 2006

Les Métis de la Boréalie, des Autochtones à part entière et des incontournables

Tout considéré, s’il y a un groupe d’autochtones qui sort plus gagnant que perdant des récents jugements de la Cour suprême du Canada, c’est le groupe des Métis de la Boréalie, qui a pris naissance autour du poste de traite de Chicoutimi et dont les familles n'ont eu de cesse d'essaimer depuis 1672, de la baie James à la côte du Labrador. Voyons plutôt :

PRIMO, contrairement aux Micmacs de la double cause Marshall - Bernard, les Métis de Chicoutimi n’ont pas à faire la preuve qu’ils étaient là avant les contacts, puisqu’ils sont le fruit des contacts (Van der Peet et Powley sont formels à ce sujet).

« 16 Dans cet arrêt[arrêt Van der Peet] l’accent mis sur l’occupation antérieure du territoire comme principale justification de la protection spéciale accordé aux droits ancestraux a amené les juges de la majorité à adopter un critère fondé sur l’antériorité au contact avec les Européens pour identifier les coutumes, pratiques ou traditions faisant partie intégrante d’une culture autochtone donnée et bénéficiant, de ce fait, de la protection de la Constitution. Cependant, les juges majoritaires ont reconnu que ce critère pouvait se révéler inadéquat pour reconnaître les coutumes, pratiques ou traditions métisses ayant droit à la même protection, puisque, par définition, les cultures métisses sont postérieures au contact avec les Européens. Pour cette raison, le juge en chef Lamer a expressément indiqué que la question de la définition des droits ancestraux des Métis devait être réglée à l’occasion d’un autre pourvoi. »
« 17 Comme il a été indiqué plus tôt, l’inclusion des Métis à l’art. 35 ne saurait évidemment pas être appliquée par le fait qu’ils auraient occupé le territoire canadien avant le contact avec les Européens. L’objet de l’art. 35 en ce qui concerne les Métis n’est donc pas le même qu’en ce qui concerne les Indiens et les Inuits. Le trait important qui caractérise les Métis du point de vue constitutionnel est leur statut spécial en tant que peuples ayant vu le jour entre le premier contact des Indiens avec les Européens et la mainmise effective de ces derniers sur le territoire. L’inclusion des Métis à l’art. 35 représente l’engagement du Canada à reconnaître et à valoriser les cultures métisses distinctives, cultures qui se sont développées dans des régions n’étant pas encore ouvertes à la colonisation et qui, comme l’ont reconnu les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1982, ne peuvent survivre que si les Métis bénéficient de la même protection que les autres communautés autochtones. »
Cf., Powley, 19 septembre 2003.


SECUNDO, preuves historiques et généalogiques à l’appui, ils sont capables de démontrer vigoureusement qu’ils ont occupé de façon ininterrompue les territoires dont ils se réclament, soit de 1672 à aujourd’hui : ils sont capables d’établir la preuve qu’ils étaient là en 1700 ; là en 1759 ; là en 1763 ; là en 1800 ; là en 1842 et en 1843, soit avant et après que l’État ait affirmé sa souveraineté sur ce territoire ; la preuve qu’ils étaient là en 1851 et qu’ils y sont encore aujourd’hui.

TERTIO, les limites de leur « pays » (le Domaine du Roi, également dit Postes du Roi) sont bien connues et ont été reconnues par le roi de France en 1733 ; ce que la Couronne britannique a reconduit de facto et perpétué par la reconnaissance des King’s Posts, aux lendemains de la Conquête.

QUARTO, d’août 1842 (donc, avant que l’État n’affirme sa souveraineté sur ce territoire) à l’automne 1852 (mort du Métis chicoutimien Peter McLeod, Jr) ce sont justement les Métis qui exploitent les scieries du secteur, qui exportent du bois (d’ailleurs avec leur associé Price) en Angleterre et aux États-Unis.

Et QUINTO, en plus d’être liée à la chasse, à la pêche et à la cueillette, la culture des Métis de Chicoutimi est intimement —et, exclusivement, dans le sens jurisprudentielle du terme— liée à celles des affaires, du commerce, de l’exploitation forestière, ce qui en fait alors les maîtres du pays à l’époque.

Qui dit mieux !…

Russel Bouchard

La place des Métis de la Boréalie et du Canada dans l'autochtonie nord-américaine

Ou pourquoi les Métis de la Boréalie ont besoin d'être partie prenante du futur traité

Aux Etats-Unis les Autochtones sont des « Américains » (ou comme je préfère dire, des «États-Uniens»), c’est-à-dire qu’ils sont d’abord et avant tout de nationalité américaine, autochtones ensuite. Cette puissance qui a conquis son indépendance en 1776, les a donc… totalement assimilés à la nation américaine (du moins ceux qui ont survécu à plus de trois siècles de massacres) qui ne laisse traîner aucune nuance sur ce point de l’unité nationale. Ils on suivi, en cela, la France qui, sous Louis XIII et Richelieu, a procédé à l’unification de la grande partie de son territoire actuel. En France, comme aux Etats-Unis, tu es Français ou tu ne l’es pas.

Autre détail important qu’il me faut souligner avant de passer au cas du Canada. Aux Etats-Unis, les Autochtones sont uniquement des Indiens, alors qu’au Canada, question de l’article 35 de la Constitution de 1982, les Autochtones sont… « notamment » les Indiens, les Inuits et les Métis, trois peuples auxquels pourraient, éventuellement s’ajouter les Canadiens français, les Acadiens et les Néo-Écossais puisqu’établis ici avant 1763.

Cela dit, au Canada, le seul assassinat politique que l’on connaît d’un Autochtone, c’est celui de Louis Riel, notre héros à nous les Métis canadiens-français, qui a été perpétré en 1885, par un gouvernement canadien criminel qui a voulu écraser tous les espoirs de ces peuples afin de s’emparer de leurs territoires (un programme d’élimination ethnique mis de l’avant en 1856 et qui a du reste éliminé dans les statuts —c’est d’une extrême gravité— les Métis du Québec, un génocide que nous nous activons à dénoncer). Ce projet a échoué. Les Indiens, qu’on espérait voir disparaître avec ce siècle, se sont mis à reprendre vie, les Inuits aussi, puis, tout dernièrement les Métis, avec le prononcé du jugement Powley (2003).

En ce qui nous concerne en propre, les Métis de la Boréalie sont ressortis de l’ombre hivernal au début des années 1970, avec les actions de différentes communautés métisses, un long processus auquel s’associent la parution récente de mon livre sur la Communauté métisse de Chicoutimi, et la cérémonie de l’éveil de l’ours, à laquelle j’ai participé officiellement, le 21 juin 2005, en tant que lien de mémoire, sur le site du cimetière de l’ancien poste de traite de Chicoutimi, une date qui marque notre sortie de la ouache, après un long hiver de 159 ans. Consciente de notre réalité et considérant qu'elle était « elle -même l'hôtesse d'une communauté autochtone « Métisse » fondatrice et toujours existante sur son territoire » , le 5 décembre 2005, le Conseil de Ville de Saguenay adoptait, à l'unanimité, une résolution dans laquelle il reconnaissait officiellement notre existance et s'engageait à intercéder auprès des deux paliers de gouvernements supérieurs pour qu'ils abondent en ce sens.

Pour répondre à la seconde partie de la question, le Canada n’a pas été en mesure de faire l’unification des communautés ethno-culturelles évoluant sur son territoire : les Québécois se définissent autrement et veulent même se séparer, les Indiens se disent d’une nation indépendante de la nation canadienne mais acceptent de participer à cet univers, et les Métis voient de plus en plus les choses de cette façon. Bref, il n’y a pas de nation canadienne au sens unitaire du terme. Et dans ce niveau de conscience nationale, dans cet état d’esprit les territoires appartiennent à ceux à qui on les reconnaît, soit par la voix de reconnaissances officielles à l’Assemblée nationale, soit par le biais d’ententes spécifiques comme celle bien drôlement appelée de « paix des braves », ou soit par la voie de traités comme c'est le cas avec celui que les gouvernements s'appliquent à signer avec les Ilnutsh sous l'appellation de l'Approche commune.

Cette dernière entente, plaisons-nous à le répéter, est, en quelque sorte, une acceptation de la balkanisation du territoire québécois sur le territoire du Québec. Et ne pas y être nommément reconnu comme partie prenante équivaut, pour les Métis de la Boréalie, à être rayé de l'histoire, rayé de la réalité politique, rayé du droit à l'existence et au bonheur. Trouvez-moi un peuple au monde qui accepterait de se faire contraindre à une telle fin...

Russel Bouchard

En 1831, Tocqueville avait remarqué l'existence de ce peuple nouveau, le peuple Métis

À cette époque, l'Amérique du Nord n'avait pour frontières que celles qui avaient été découpées par les puissances coloniales et impériales venues d'Europe. L'Ouest comme le Nord, ouvert à une ère nouvelle par des gens d'une espèce humaine nouvelle venus du Saint-Laurent, des gens plus grands que nature, les Canadiens français ; l'Ouest comme le Nord étaient alors le grand Pays des Métis, des Indiens et des Inuits. Ce n'est qu'après que des étrangers se soient partagés le continent sans tenir compte de notre réalité et de nos existences, que notre Pays s'est fragmenté pour nous être volé. Et aujourd'hui, dans un éventuel traité (l'Approche commune) que des politiciens étrangers veulent signer sans notre accord, on voudrait nous faire croire que cela est pour notre bien.

Foutaise tout ça ! Comment un peuple (le peuple Métis) peut-il être gagnant dans un marché où des étrangers décident de son avenir et du partage de sa propre Terre, sans lui demander son avis et son accord, en faisant comme si ce peuple n'existait pas, et en semant la discorde entre les membres d'une même famille qui y vivaient pourtant dans la plus parfaite des harmonies ? Nous étions-là avant, nous sommes là aujourd'hui, et nous entendons être là demain. Et si cela n'est pas inscrit dans le traité, si nous n'y sommes pas reconnus comme peuple et partie prenante de cet accord, ce traité ne pourra qu'ajouter des malheurs nouveaux à ceux que nous vivons déjà, il ne sera pas le bienvenu et nous ne le reconnaîtrons pas comme valide qu'on se le dise !...

Russel Bouchard
Le Métis


« À l’autre bord de la Saginaw [remplacez par Ashuapmushuan, Saguenay ou Manicouagan], près des défrichements européens et pour ainsi dire sur les confins de l’ancien et du Nouveau Monde s’élève une cabane rustique plus commode que le wigwam du sauvage, plus grossière que la maison de l’homme policé. C’est la demeure du métis. Lorsque nous nous présentâmes pour la première fois à la porte de cette hutte à demi civilisée, nous fûmes tout surpris d’entendre dans l’intérieur une voix douce qui psalmodiait sur un air indien les cantiques de la pénitence. Nous nous arrêtâmes un moment pour écouter. Les modulations des sons étaient lentes et profondément mélancoliques ; on reconnaissait aisément cette harmonie plaintive qui caractérise tous les chants de l’homme au désert. Nous entrâmes. Le maître était absent. Assise au milieu de l’appartement, les jambes croisées sur une natte, une jeune femme travaillait à faire des mocassins ; du pied elle berçait un enfant dont le teint cuivré et les traits annonçaient la double origine. Cette femme était habillée comme une de nos paysannes, sinon que ses pieds étaient nus et que ses cheveux tombaient librement sur ses épaules. En nous apercevant elle se tut avec une sorte de crainte respectueuse. Nous lui demandâmes si elle était Française. « Non, répondit-elle en souriant. —Anglaise ? —Non plus, dit-elle ; elle baissa ses yeux et ajouta : Je je nuis qu’une sauvage. » Enfant de deux races, élevé dans l’usage de deux langues, nourri dans des croyances diverses et bercé dans des préjugés contraires, le métis forme un composé aussi inexplicable aux autres qu’à lui-même. Les images du monde lorsqu’elle viennent se réfléchir sur son cerveau grossier, ne lui apparaissent que comme un chaos inextricable dont son esprit ne saurait sortir. Fier de son origine européenne, il méprise le désert ; et pourtant il aime la liberté sauvage qui y règne. Il admire la civilisation et ne peut complètement se soumettre à son empire. Ses goûts sont en contradictions avec ses idées, ses opinions avec ses mœurs. Ne sachant comment se guider au jour incertain qui l’éclaire, son âme se débat péniblement dans les langes d’un doute universel ; il croit au Rédempteur du monde et aux amulettes du jongleur ; il arrive au bout de sa carrière sans avoir pu débrouiller le problème obscur de son existence.

Ainsi donc dans ce coin de terre ignoré du monde la main de Dieu avait déjà jeté les semences de nations diverses ; déjà plusieurs races différentes, plusieurs peuples distincts se trouvent ici en permanence.

Quelques membres exilés de la grande famille humaine se sont rencontrés dans l’immensité des bois, leurs besoins sont communs ; ils ont à lutter ensemble contre les bêtes de la forêt, la faim, l’inclémence des saisons. Ils sont trente à peine au milieu d’un désert où tout se refuse à leurs efforts, et ils ne jettent les uns sur les autres que des regards de haine et de soupçon. La couleur de la peau, la pauvreté ou l’aisance, l’ignorance ou les lumières ont déjà établi parmi eux des classifications indestructibles ; des préjugés nationaux, des préjugés d’éducation et de naissance les divisent et les isolent.

Où trouver dans un cadre plus étroit un plus complet tableau des misères de notre nature ? Il y manque cependant encore un trait.

Les lignes profondes que la naissance et l’opinion ont tracées entre la destinée de ces hommes, ne cessent point avec la vie, mais s’étendent au-delà du tombeau…
Alexis de Tocqueville, «Quinze jours dans le désert» américain, 1831.

dimanche, février 19, 2006

Avertissement aux visiteurs

Le blog est en préparation et il me reste encore beaucoup à faire pour le franciser davantage et l'améliorer. La section des commentaires n'a pas été activée afin de ne pas interférer avec le blog « Les délires d'Akakia » ; à vous de me communiquer vos messages par le lien e-mail qui verse directement dans ma boîte courriels, et je verrai alors s'il est à propos de l'activer. D'ici quelques jours, j'imagine que ce blog sur les Métis de Chicoutimi sera adapté convenablement, de manière à ce que vous puissiez l'utiliser si le besoin se fait sentir. Vous aurez remarqué, également, qu'il manque les notes au bas de pages, ainsi que les annexes et les arbres généalogiques. Pour l'heure, je n'ai pas l'intention de les diffuser par cette voie, de manière à ne pas nuire à la vente de ma publication qui est toujours disponible sous le titre et à l'adresse suivants à un prix modique :

La communauté métisse de Chicoutimi : fondements historiques et culturels, Chicoutimi, 2005, 154 pages, ISBN 20921101-34-3.

Pour une commande, il suffit de m'expédier un mandat poste ou un chèque de 21$, à l'ordre de Russel Bouchard, ce qui comprend le coût du livre à l'unité, et les frais d'expédition, et adresser à :

Russel Bouchard,
33 St-François,
Chicoutimi,
G7G 2Y5

Nous sommes un peuple...

Un peuple se définit d’abord par son histoire, qui est aussi la construction d’une intimité commune, le témoin de sa propre marche dans la longue caravane de l’Humanité. Il s’exprime ensuite par sa culture, qui est la somme des rapports passés et présents qu’entretiennent les individus et le groupe dont ils participent avec un environnement naturel et spirituel particulier. Et dans cette perspective, il n’appartient qu’à nous, qu’à ceux et celles qui partagent ce sentiment d’appartenance, qu’à ceux et celles qui composent cette intimité perpétuée dans la mémoire collective, de définir ce que nous sommes et de nous présenter dans cette marche.
Russel Bouchard, 2005


@ Tous droits réservés, Russel Bouchard, Chicoutimi, 2005

Introduction

Introduction

Le 14 juillet 2000, alors que le gouvernement du Québec raboutait les dernières ficelles des fusions municipales qui allaient forcer celles des villes et villages du Haut-Saguenay en une seule entité administrative et politique, la population régionale apprenait que le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada et les représentants désignés des quelque 4000 descendants d’aborigènes regroupés autour de Mashteuiatsh s’étaient entendus en sourdine sur la conclusion d’un traité global reconnaissant les droits ancestraux des peuples autochtones de ce territoire. Ce projet d’accord ou traité, qui a fait couler beaucoup d’encre depuis, sera effectivement très lourd de conséquences comme il a été maintes fois précisé. En reconnaissant, en exclusivité aux Ilnutsh, le titre « aborigène »1 , il scellera, pour l’éternité et sans égard aux droits et besoins des autres collectivités, le titre de propriété collective ancestrale du territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean au profit et avantages exclusifs de cette minorité collective ethno-culturelle. Il réorganisera la manière d’occuper et d’exploiter le territoire régional au profit des trois entités représentatives signataires et au détriment de la population régionale dès lors niée d’existence. Il privilégiera, à tout niveau, un groupe humain particulier (les Ilnutsh) sur des préceptes historiques discutables, sans égard à la réalité socio-économique et démographique voulant que certains groupes ethno-culturels nommément protégés par les articles 1, 2d2 , 73 , 154 , 255 , 276 , 357 et 528 de la Constitution de 1982 soient menacés d’effondrement sinon de disparition (notamment les Canadiens français et les Métis).

Conséquence non moins néfaste pour ces minorités culturelles canadiennes fondatrices déjà affligées des tares de l’exclusion, en plus de nier l’existence d’une population régionale homogène a fortiori canadienne-française9 , le futur traité, dont les paramètres sont déjà définis dans l’entente de l’Approche commune (signée au Château Frontenac, le 31 mars 2004), refuse, en toute injustice, de reconnaître et de tenir compte du fait, réel et incontestable, de l’existence historique, sociale, culturelle et politique des collectivités métisses euro-amérindiennes du Saguenay–Lac-Saint-Jean ; qui sont, elles aussi, des collectivités… « autochtones » dans le sens constitutionnel du terme et officiellement reconnues par un récent jugement de la Cour suprême du Canada (R. c. Powley10, 19 septembre 2003)11.

Au regard de l’histoire qu’aucune plume en quête de vérité et de justice ne saurait nier, la plus ancienne de ces collectivités métisses de la Boréalie québécoise, celle de Chicoutimi, détient du reste une place primordiale sinon mythique dans la mémoire collective régionale. Car c’est effectivement ici, au confluent des rivières Chicoutimi et Saguenay, au cœur de ce qui était alors appelé le Domaine du Roi et de ce qui est finalement devenu (le 18 février 2002, date du décret) Ville de Saguenay, que débarqua dans des conditions très particulières, en 1672, le père des Métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Nicolas Peltier ; et c’est également dans ce lieudit où courent encore les mânes des ancêtres de ce peuple fondateur qui n’a cessé d’essaimer depuis, que le Métis euro-amérindien de réputé mémoire, Peter McLeod Jr, un natif de la rivière du Moulin, mit les bases de la localité de Chicoutimi, en 1842, une étape ultime dans la rencontre des deux cultures fondatrices de la région.

À n’en pas douter, ces deux dates de rencontre —1672 et 1842— marquent des temps d’arrêt dans l’histoire de l’occupation du territoire de ce « pays » intime. Elles établissent des points de références de son identité particulière marquée désormais par la cohabitation et le mariage ethno-culturel entre anciens et nouveaux arrivants ; et elles introduisent des chapitres évocateurs appelés à être littéralement niés voire répudiés dans le traité qui court vers une signature officielle, une signature, redisons-le définitive, ineffaçable et lourde de toutes ses conséquences pour ceux et celles qui partagent cet espace territorial depuis plus de trois siècles.

Pour une raison et pour une autre, qui en appellent désormais au débat, ces faits historiques du métissage euro-amérindien, au Québec et plus spécifiquement dans les territoires de la Boréalie québécoise, ont été niés et occultés depuis la Conquête anglaise. Il s’agit maintenant pour nous, à titre d’historien, de Métis natif de Chicoutimi (ascendances française, écossaise et montagnaise) et de citoyen de ce « pays » intime, de soulever le premier coin de ce linceul opaque, et d’établir ce faisant les premiers jalons de cette facette incontournable de la marche du peuplement au Saguenay–Lac-Saint-Jean–Côte-Nord (ce qui était, jusqu’en 1842, le Domaine du Roi et la Seigneurie de Mingan*), qui constitue, avec l’Acadie, l’un des principaux creusets du peuple métis du Canada...

Naissance du peuple Métis de la Boréalie

La rencontre des deux peuples fondateurs
dans la vallée laurentienne :
traités d’alliance de 1603 et 1633


Existe-t-il, oui ou non, des assises historiques —et généalogiques— attestant de l’existence d’une communauté métisse au Québec, au Saguenay ? Et si oui quelles en sont les jalons historiques, le fondement culturel et la qualité présente dans notre société ?

La réponse à cette question délicate est loin de l’image d’Épinal. S’il faut en croire le « négociateur spécial pour le Québec » dans le dossier de l’Approche commune, M. Louis Bernard, qui a jugé bon de réagir instinctivement à la publication du jugement Powley, à sa « connaissance il n’existe pas et n’a jamais existé de communauté métisse au Saguenay–Lac-Saint-Jean ou sur la Côte-Nord »12, point à la ligne. S’il faut s’en remettre, en sus, aux commentaires tout aussi réactionnaires du ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec, M. Benoît Pelletier13, qui s’est empressé d’appuyer son négociateur sur cette controverse socio-historique en nourrissant les journaux de ses propres préjugés, la question ne se pose pas au Québec et elle ne se posera pas —surtout pas !— avant la signature du traité avec les Ilnutsh car, de son propre avis, « la présence de communautés de métis et indiens hors réserve est plus marquée dans d’autres provinces du Canada, dont l’Ontario par exemple »14. Et la question est loin de faire consensus si nous prenons en compte, a contrario des deux sophismes précédents, l’évaluation du père de l’ethnologie québécoise, Jacques Rousseau, un savant, faut-il le préciser, dont l’œuvre et la somme d’ouvrages à l’endroit des peuples autochtones canadiens pour lesquels il a consacré sa vie, ne cessent toujours d’étonner par sa pertinence : car, selon ce dernier, « plus de 40% des Canadiens français ont du sang indien. Et à partager leur pays nous avons fini par leur ressembler »15.

S’il faut interroger encore l’approche des plus pesées de l’anthropologue jeannois Georges Fortin, auteur d’une érudite thèse de doctorat16 déposée à l’Université Laval en juillet 2000 (donc rédigée avant l’annonce du projet de traité), cette question existentielle à l’endroit du peuple métis est déjà entendue, sinon pour tout le Canada du moins en ce qui concerne le Saguenay–Lac-Saint-Jean, royaume des « Bleuets ». Selon lui, « une évidence s’impose [pourtant] d’elle-même » quand on évoque cette question du peuplement régional et de son évolution socioculturelle : c’est « celle de l’occasion historique du double ensauvagement, phénomène régional s’il en est un, concept clé, de l’émergence de ce « Bleuet », lequel, après s’être innocemment approprié un territoire, celui des Kakouchaks, s’est empressé de revêtir la défroque du Décepteur, jouant à la fois des rôles dévolus à Carcajou, Mist’amisc et qui, comme pâle imitateur de Tshakapesh, ne peut s’empêcher de vouloir construire un monde.17 »

Pour tâcher d’amener un premier élément de réponse à cette question, socio-historique, culturelle, sprirituelle et politique fort complexe, qui ne rallie manifestement pas les avis et qui aura le mérite d’en soulever bien d’autres, il faut remonter à l’aube de l’histoire du Canada, à l’époque des premiers contacts euro-amérindiens, départ fracassant d’une révolution interethnique appelée par le fait d’histoire à produire les assises de la réalité ethno-culturelle saguenéenne et jeannoise d’aujourd’hui18. On se rappellera, à cet égard, qu’au printemps 1603, le 27 mai pour être plus précis, date historique s’il en est une au chapitre des relations euro-amérindiennes de la Laurentie, Samuel de Champlain, sous le commandement de François Gravé Du Pont, avait rencontré à l’entrée du Saguenay, au lieudit Pointe Saint-Mathieu (ou Pointe-aux-Allouettes), les chefs de l’alliance algique alors accompagnés d’une centaine de leurs congénères (Algonquins, Etchemins, Montagnais). Lors de cette rencontre mémorable, qui correspond au premier traité d’alliance euro-amérindien jamais noté dans les documents d’archives, les Français assurèrent ces gens d’une aide militaire dans leurs guerres contre les Iroquois, et obtinrent en retour le droit d’occuper le territoire, d’y établir à leur guise des lieux de rencontre et d’y développer leurs industries et l’objet de leur commerce19.

Telle que prévue, la guerre n’eut de cesse de se manifester entre les nations de l’alliance algique20 et les Iroquois, et l’histoire suivit ainsi son cours pour subir ses dénouements : en vertu de l’alliance de ce 27 mai historique, les Français assistèrent les premiers contre les seconds qui n’en étaient pas moins soutenus par les Anglais ; des lieux de peuplements furent fondés par les Français, en Acadie, à Tadoussac et à Québec ; et les Indiens alliés s’amenèrent en ces lieux nouveaux pour fuir les tueries intertribales, surmonter les famines épisodiques et y trouver, hélas, des maladies qu’ils ne connaissent pas. En 1633, après son retour à Québec, Champlain rassembla une dernière fois les chefs des nations21 amis, pour s’assurer de leur fidélité. Avec le chef algonquin Capitanal, un ami venu de Trois-Rivières à la tête d’une flottille de dix-huit canots, il conclut une seconde alliance qui l’autorisait, cette fois-ci, à construire une habitation à Trois-Rivières, et dans laquelle il invitait ces Indiens à marier leurs filles à leurs garçons pour ne faire plus qu’un peuple. L’affaire fit dès lors son chemin. À un pacte d’union militaire et commerciale conclut en 1603, s’ajoutait ainsi un pacte d’union ethnique et culturelle qui cimentait le premier et consacrait officiellement la rencontre des deux peuples fondateurs du Canada.

« Tu dis que les François sont venus habiter Kebec pour nous defendre, et que tu viendras en nostre pays pour nous proteger. Je me souviens bien d’avoir ouy dire à nos peres que quand vous estiez là bas à Tadoussac, les Montagnaits vous allerent voir, et vous inviterent à nostre déceu de monter çà haut, où nos peres vous ayant veus, vous aumerent, et vous prierent d’y faire vostre demeure. […] Quand tu viendras là haut avec nous, tu trouveras la terre meilleure qu’icy [à Québec] : tu feras au commencement une maison comme cela pour te loger (il designoit une petite espace de la main :) c’est à dire tu feras une forteresse, puis tu feras une maison comme cela, designant un grand lieu, et alors nous ne serons plus des chiens qui couchent dehors, nous entrerons dans cette maison, (il entendoit un bourg fermé :) En ce temps-là on ne nous soupçonnera plus d’aller voir ceux qui ne vous aiment pas : tu semeras des bleds, nous ferons comme toy, et nous n’irons plus chercher nostre vie dans les bois, nous ne serons plus errans et vagabonds. […]

La conclusion fut que le sieur de Champlain leur dit : quand cette grande maison sera faite, alors nos garçons se marieront à vos filles, et nous ne serons plus qu’un peuple. Ils se mirent à rire, repartans : Tu nous dis tousiours quelque chose de gaillard pour nous résiouïr, si cela arrivoit nous serions bien heureux. »22

Les derniers Montagnais

L’hécatombe des Indiens des premiers contacts
et la naissance de la nation métisse canadienne


Et cette alliance se produisit effectivement telle que demandée par Champlain et acceptée par le chef Capitanal, puisque le bourg de Trois-Rivières leva de terre l’année suivante, en 1634, puisque les Indiens s’y établirent pour cohabiter avec les euro-canadiens dans la foulée du commerce des fourrures, et puisque des unions maritales furent aussitôt notées sinon consacrées entre les Français et les Indiens qui avaient alors entrepris de partager ce nouvel espace communal. Comme l’usage le veut en pareille circonstance lorsqu’un peuple entreprend de coloniser un territoire déjà occupé par un autre qui n’a plus la capacité —militaire, économique et démographique— de s’y opposer, les mariages interethniques faits « à la mode du pays » soudèrent dès lors cet accord et devinrent coutume. Tandis que d’autres, solennellement enregistrés selon les rites de l’Église catholique, permirent d’en perpétuer officiellement les rentrées dans notre histoire et les lignées généalogiques (comme en font foi, notamment, les Relations des Jésuites, le Journal des Jésuites, les Lettres de Marie de l’Incarnation et les Régistres de Tadoussac).

C’est ainsi que, de 1608 à 1670, date qui correspond à la phase de l’effondrement démographique des populations indiennes de la Laurentie et à la migration de leurs derniers survivants vers les territoires de la Boréalie québécoise (comme il a d’ailleurs été fortement démontré dans certains ouvrages d’histoire récents23) ; c’est ainsi, dis-je, qu’une culture s’ouvrait à une autre pour écrire un nouveau chapitre de l’histoire de l’autochtonie nord-américaine, un chapitre d’histoire de cette marche du peuplement d’où émerge, d’année en année, une nouvelle communauté ethno-culturelle dynamique appelée à s’imposer comme la base du peuple métis canadien.

Pour bien apprécier ce passage historique lourd de toutes ses conséquences et pour comprendre qu’il ne s’agit pas là de rencontres d’exceptions appelées à se marginaliser dans l’histoire canadienne mais plutôt à se densifier, il suffit de citer les cas de ces dizaines de Français qui, déjà, hivernèrent dans les communautés autochtones à l’époque de Champlain (les Jean Manet, Jean Nicolet, Gros Jean de Dieppe, Jean Richer, Étienne Brûlé, Nicholas de Vignau, Nicolas Marsolet, Du Vernay, La Criette, La Montagne, La Vallée, Grenole, La Marche, le Baillif). En plus de l’union religieuse de Martin Prévost (avec Marie Manitouabe8ich, le 3 novembre 164424), il suffit de noter plus précisément le plus célèbre de ces mariages mixtes, celui du gouverneur de Trois-Rivières, Pierre Boucher, qui, en 1649, unit son sang avec Marie Ouébadinouaoué (alias Marie Chrestienne), la fille d’un chef sauvage, élevée par les Ursulines25. Il suffit de citer encore l’essaimage particulièrement dynamique de la nation métisse dans l’Acadie du XVIIe siècle, tel que noté dans les nombreux travaux de Rameau de Saint-Père (des mariages qui « ont dû exercer beaucoup plus d’influence sur la race entière »)26 et du généalogiste Alexandre Alemann, qui a consacré sa vie à la question27. Et il suffit de noter l’ajout de ces dizaines d’autres qui vont s’inscrire dans cette lignée ininterrompue jusqu’à la fin du XIXe siècle, un épiphénomène ethno-culturel que ne manquera pas de relever minutieusement, à la toute fin du septième volume de son fameux Dictionnaire28, Mgr Cyprien Tanguay29 (une référence généalogique incontournable, faut-il le préciser, qui occulte cependant les centaines d’unions libres effectuées à « la mode du pays », a contrario du droit canonique qui interdisait en ces temps les mariages entre catholiques et néophytes, de loin les plus nombreux30).

L’avènement de Louis XIV sur le trône de France (1661), la « royalisation » de la Nouvelle-France (1663) et l’arrivée à Québec de l’intendant Jean Talon (1665), marquent une étape nouvelle de la colonisation française en Amérique du Nord. Ainsi, écrit le ministre Colbert à Talon, le 5 janvier 1666 : « Il me semble que sans s’attendre a faire Capital sur les nouveau Colons que l’on peut envoyer de France, Il n’y auroit rien qui y contribuast davantage que de tascher a civiliser les Algonquins, les hurons et les autres Sauvages qui ont embrassé le Christianisme, et les disposer a se venir establir en Communauté avec les François pour y vivre avec eux, et eslever leurs enfans dans nos mœurs, et dans nos Coustumes »31 . La marque du temps est officielle. Elle tire le trait qui sonne le départ d’une politique de peuplement axée sur la mixité des mariages euro-amérindiens et à la naissance d’une nouvelle culture redevable à cette extraordinaire rencontre ethno-culturelle entre les Français, les Canadiens et les derniers Indiens survivants de l’alliance algique.

Dans l’esprit du roi et de son grand ministre, cette politique nouvelle de peuplement de la Nouvelle-France et de francisation des jeunes Indiens était un impératif auquel l’administration coloniale ne pouvait se soustraire à nul prix et n’en déplaise à certains puristes qui rechignaient à l’idée d’un tel mélange. Pour accroître le peuplement dans la vallée laurentienne, Colbert récupéra donc le projet de Champlain (ce qu’a d’ailleurs vigoureusement noté l’historien et archiviste de la Société royale du Canada, Gustave Lanctot32). Pour être bien sûr que cette directive fournisse le plus rapidement possible des résultats escomptés, il revint d’ailleurs sur le sujet l’année suivante et intima son intendant, qu’il trouvait par trop timoré à cet égard, de faire davantage d’efforts pour activer la rencontre. Ainsi, écrit-il alors dans sa lettre annuelle du 5 avril 1667, « vous devez tascher d’attirer ces peuples, sur tout ceux qui ont embrassé le Christianisme dans le voisinage de nos habitations et s’il se peut les y mesler, afin que la succession du temps n’ayant qu’une mesme loy & un maistre ils ne fassent plus ainsy qu’un mesme peuple et un mesme sang »33.

Difficile d’être plus clair. Venue des plus hauts sommets politiques et administratifs du royaume de France, la politique royale de peuplement de la vallée laurentienne et des terres adjacentes ne pouvait être plus explicite et plus impérieuse. Elle commandait du reste, de manière récurrente et continue, d’impliquer à l’exécution de cette tâche de mixité ethnique et culturelle les missionnaires jésuites, les communautés religieuses féminines et toute la classe ecclésiastique du « pays », afin, écrit-il encore, que les Indiens de l’alliance algique puissent se marier avec les habitants pour composer un peuple nouveau. Soucieux de donner à la colonie le moyen d’agir efficacement, il accorda du reste 1 200 livres aux pères récollets et 6 000 livres à l’évêque de Québec qui avait ordre exprès de les affecter à l’entretien du séminaire et à la subsistance des jeunes Sauvages (toujours employé dans le sens noble du terme dans ce texte) qui y étaient élevés à cet effet.

« Le Roy a accordé la somme de 1200 ll. Ausd. PP. Recollets, pour leur donner moyen de fortiffier et augmenter leur establissement et sa Maté continue encore à Mr l’evesque de Petrée la mesme gratiffication de 6,000 ll. Qu’elle a accoustumé de luy donner pour l’entretien de son seminaire et la subsistance des jeunes sauvages qui y sont eslevez. […] Travaillez tousjours [M. l’intendant], par toute sorte de moyens, à exciter tous les Ecclesiastiques et Religieux qui sont aud. Pays d’eslever parmy eux le plus grand nombre desdits enfans [sauvages] qu’il leur sera possible, afin qu’estant instruicts dans les maximes de nostre religion et dans nos mœurs, ils puissent composer avec les habitans de Canada un mesme peuple et fortiffier, par ce moyen, cette colonie là. »34

À ces unions souhaitées, le ministre du roi attacha même un « présent » de cent cinquante livres payables aux épouseuses indigènes. Mais si l’affaire fonctionnait bien du côté des Français pour qui l’aventure et la vie à l’Indienne s’offraient comme le plus grand des attraits, elle s’accomplissait différemment d’autre part pour les Indiens qui n’avaient pas l’habitude de la sédentarité telle que conçue par les Français dans le programme des réductions (réserves). Les Sauvages et, plus particulièrement, les Sauvagesses peuvent se christianiser disait alors l’adage, ils ne se francisent pas.

Selon qu’il soit de sexe masculin ou féminin, qu’il soit élevé dans un bourg ou dans une mission plus ou moins éloignée, le sujet autochtone réagissait d’ailleurs différemment. Selon la Mère Marie de l’Incarnation, qui s’est employée à cette tâche ardue pendant plusieurs années avec sept ou huit filles huronnes et algonquines qu’elle a réussi à marier à des Français à partir du couvent dont elle a la charge, il était infiniment plus facile à un Français de cette époque héroïque de devenir Sauvage que l’inverse. Et si le programme est effectivement difficile à mener pour satisfaire aux exigences de Colbert, le résultat escompté sur le plan socio-historique n’est pas pour autant une faillite totale comme ont tendance à le conclure un peu trop rapidement les historiens québécois d’obédience catholique, engagés qu’ils sont, depuis le XVIIIe siècle, à donner une image épurée de la nation canadienne-française. « Nous avons francisé plusieurs filles Sauvages, tant Huronnes, qu’Algonguines, que nous avons en suite mariées à des François, qui font fort bon ménage »35, écrit la révérende qui prend cependant ses distances avec l’expérience vécue simultanément par l’évêque de Québec avec « un certain nombre de jeunes garçons Sauvages, et autant de François » qu’il a élevés et nourris ensemble36. Lisons plutôt :

« Monseigneur notre Prélat entretient en sa maison un certain nombre de jeunes garçons Sauvages, et autant de François, afin qu’étant élevez et nourris ensemble, les premiers prennent les mœurs des autres, et se francisent : Les Révérends Pères font le même : Messieurs du Séminaire de Mont-Réal les vont imiter. Et quant aux filles, nous en avons aussi de Sauvages avec nos Pensionnaires Françoises pour la même fin. Je ne sçai à quoi tout cela se terminera, car pour vous parler franchement, cela me paroît très-difficile. Depuis tant d’années que nous sommes établies en ce païs, nous n’en avons pu civiliser que sept ou huit, qui aient été francisées ; les autres quoi sont en grand nombre, sont toutes retournées chez leurs parens, quoi que très-bonnes Chrétiennes. La vie sauvage leur est si charmante à cause de sa liberté, que c’est un miracle de les pouvoir captiver aux façons d’agir des François qu’ils estiment indignes d’eux, qui font gloire de ne point travailler qu’à la chasse ou à la navigation, ou à la guerre… »37

La conspiration de l'oubli

La conspiration de l’oubli : une réalité historique
écrasée par la doctrine chrétienne et les chantres
du nationalisme canadien-français


Si le programme de francisation des Indiennes et des Indiens à l’intérieur des bourgs, réductions et missions —de Québec (fondée en 1608), Trois-Rivières (1634), Sillery (1638), Tadoussac et La Conception (1641), Montréal (1642), Notre-Dame-de-Foy et La Prairie (1668)— connaît des ratés pendant ces heures précaires et qu’il se veut plus difficile en ce début du régime royal ; l’affaire se passe par contre tout autrement dans les zones excentriques, en dehors des zones de colonisation française où ont entrepris de s’activer —tant au nord et au sud qu’à l’ouest— les explorateurs français, les coureurs de bois autochtones (entendons des Canadiens) et allochtones, les militaires et les miliciens canadiens chargés de faire le coup de feu contre les Iroquois et les Indiens renégats. L’afflux des coureurs de bois devient d’ailleurs un phénomène si important dans le dernier quart du XVIIe siècle, que Louis XIV finit par s’étonner de ne pas retrouver dans les recensements le compte des hommes qu’il a envoyés au Canada depuis la « royalisation » de sa colonie38.

En 1680, Duchesneau, qui a succédé à Talon en tant qu’intendant, estime à quelque 800 le nombre des hommes absents et dispersés comme coureurs de bois dans les quatre coins de la colonie39 —ce qui est une proportion énorme voire même la portion la plus active de la colonie si l’on considère que la Nouvelle-France ne compte pas encore 10 000 colons et manque de filles à marier40. Lui qui prétend, dans une lettre à Colbert, « exorter les habitans à élever des Sauvages », à commencer par lui pour donner l’exemple, promet d’ailleurs de renforcir la présence du roi dans les lieux éloignés de sa colonie en favorisant les unions entre Sauvages et Français « afin de rendre ce pays heureux »41. Et s’il faut en croire le compte rendu de l’explorateur Cavelier de La Salle, qui grenouille depuis des années dans la vallée du Mississipi, les Français sont tellement épris des Sauvagesses et de ce nouveau style de vie, que la plupart de ceux qui s’y trouvent n’entendent même plus revenir à Québec. Tout à fait impuissant de changer le cours de cette histoire en marche qui se vérifie tant au nord qu’au sud, Denonville écrit ainsi au Ministre :

« Mr. de la Salle a donné des concessions au fort St. Louis a plusieurs françois qui y sejournent depuis plusieurs années sans vouloir dessendre, ce qui a donné lieu a des desordres et abominations infinies. Ces gens a qui Mr. de la Salle a concedé sont tous garçons qui n’ont rien fait pour cultiver la terre. Tous les 8 jours ils epousent des Sauvagesses à la mode des Sauvages de ce pays là, qu’ils achetent des parens aux depens des marchands. Ces gens se pretendent independans et [maîtres] sur leurs concessions. »42

Ainsi donc, loin d’être un fait d’exception, comme ont tenté de le faire valoir avec beaucoup d’errance et d’étroitesse d’esprit, les abbés Ferland, Groulx et Leclerc (des prêtres catholiques d’abord il faut bien dire, des historiens ensuite), les mariages « à la mode du pays » s’inscrivent plutôt comme un fait de société que ne manquent pas de relever dans leurs mémoires, d’ailleurs, les voyageurs les plus connus de l’époque. « Les Sauvagesses aiment plus les François que les gens de leur propre Nation, note alors pour l’histoire le Baron de La Hontan, parce que ces premiers se soucient moins de conserver leur vigueur, & que d’ailleurs, ils sont assidus auprès d’une Maîtresse »43. Et l’affaire prendra du reste une telle proportion au début du XVIII, que les missionnaires Jésuites, soulagés de la politique de Colbert à l’égard des mariages mixtes, auront finalement comme directives de la Maison mère d’essayer de dissuader les Français libertins en les menaçant d’excommunication (ce qui ne réduira en rien leur ardeur à mélanger leurs humeurs séminales).

Plus subtil et plus poétique, le Père de Charlevoix, premier historien de la Nouvelle-France, parle avec une élégance très dix-huitième de… « Créoles du Canada »44 ; des gens du pays, présente-t-il encore sans évoquer toutefois la mixité des unions entre autochtones, qui « respirent en naissant un air de liberté, qui les rend fort agréables dans le commerce de la vie… »45.

Mais tous ne l’entendent pas ainsi. Dans le Québec judéo-chrétien des XIXe et XXe siècles, malheur à celui qui ose se réclamer de la mixité ethno-culturelle, un trait de caractère qui se voit pourtant sur nombre de visages de Saguenéens, une présence plus que notable qui a laissé une infinité de traces dans les dépôts d’archives et qui se retrouve dans l’expression d’une culture collée à l’âme de la forêt. L’historien Benjamin Sulte, un esprit de son temps ( !) qui retient des sources écrites que ce qui fait son affaire et qui raconte l’histoire des Canadiens français comme s’il eut été un rameau perdu du peuple élu, proclame ainsi : « à part ces alliances reconnues [entre Blancs et Indiennes] par l’Église et l’État, il devait y en avoir à la mode des Sauvages » ; mais il s’empressa de suite de préciser, pour préserver la pureté de la race canadienne-française (sic), que ces « enfants issus de ces rencontres ne pouvaient pas être Canadiens français [puisqu’ils] ont dû [sic] suivre leurs mères dans les bois, car autrement nous les retrouverions chez nous, vu que les registres disent tout ce qui s’est passé à l’égard des mariages [sic] …»46

« Ont dû » ! « Les registres disent tout » ! Voilà donc le fondement historique, suivi d’une fausseté jamais répudiée en défaveur du plus farouche défenseur de la thèse jamais éprouvée, voulant que « ce furent là les sources des métis, dont les descendants sont aujourd’hui des Sauvages. [Et qu’]au lieu d’avoir sous ce rapport emprunté au sang indigène, nous y avons plutôt mêlé le notre en pure perte. » Tout est dit ! Selon cet historien dont les œuvres firent pourtant époque : les Indiens ne sont rien et les Canadiens français qui s’y sont mêlés sont pure perte pour l’humanité. L’énormité d’une telle pensée cléricale est si démesurée, qu’on se surprend d’en voir des extraits soulagés des passages les plus gênants dans des travaux d’histoire récents47, et on comprendra qu’il n’est utile d’en référer que pour illustrer à quel point les esprits sont dérangés quand la religion et les préjugés d’une époque s’érigent en dogme pour prouver ce que l’Histoire ne saurait même prétendre à questionner.

Fidèle à cet eugénisme sectaire qui ternit une carrière exceptionnelle, Groulx, qui n’a rien d’un tendre lorsqu’il cause de la « Race » canadienne-française qu’il veut également pure et catholique, n’est guère plus nuancé que son prédécesseur. Ce qu’il écrit dans son livre fétiche, La Naissance d’une Race, n’a rien à envier aux révisionnistes allemands de son époque. Voyons plutôt : « Et cela dispose déjà de ce prétendu métissage de nos ancêtres avec les Peaux-Rouges du Canada, métissage dont la légende continue de courir en des milieux très savants où l’on s’efforce d’établir, à l’aide de ce mensonge, notre caractère de race inférieure. L’étonnant et le plus pénible pour nous c’est que la légende [véhiculée dans les livres de M. de Quatrefages48] ait obtenu et garde un si grand crédit même en France. […] Le sceau d’infamie nous a été collé au front et le mensonge a fait son chemin.49 »

Et les abbés historiens qui se commettent ainsi au Québec sont loin d’être un cas d’espèce en Amérique du Nord. Leur inspiration vient de loin, de l’autre côté du lac Supérieur. En effet, dans l’Ouest canadien, les prêtres qui suivent les Indiens et les Métis sur la piste et à la trace pour les soumettre en les évangélisant, ne sont pas en reste avec les préjugés de leur temps. Ils ne font que conforter ceux de leurs confrères de l’Est et trempent leurs goupillons dans le même bénitier du temps. De la Colombie-canadienne à l’Acadie en passant par le Québec, le discours est tout ce qu’il y a de plus unanime. Chacun nourrit à sa façon la mentalité du temps, remplit de son eau l’encrier des préjugés de la société dont il participe. En voici un, le Très Révérend Père Alexis, un Capucin de son état, une robe noire porteuse des plus beaux espoirs de ce pays, qui a décidé de « venger les Métis des calomnies et des mépris dont tant d’écrivains anglais les ont accablés » ( !). Avec une telle plaidoirie censée les rétablir dans l’esprit de la civilisation canadienne en marche, on comprendra pourquoi les Métis n’ont pas la cote et que l’affaire soit jugée chez nous, au Québec, avant d’avoir été soumise au débat :

« Il ne faudrait pas néanmoins, tomber dans l’erreur contraire et les exalter plus que de raison. Comme il advient d’ordinaire aux Sang-Mêlés, les Métis participent des deux races dont ils sont issus par leurs défauts aussi bien que par leurs qualités.

Un trop grand nombre d’entre eux sont inconstants, susceptibles, dissipateurs, amis des boissons fortes. Ils ne peuvent s’astreindre à un travail suivi, à un genre de vie monotone. Ils ont horreur de la poursuite méthodique de la fortune par la culture, le commerce et l’industrie. D’ordinaire, ils deviennent une proie facile pour le colon européen, âpre au gain et peu scrupuleux, qui a tôt fait de leur acheter leur terre pour un morceau de pain, quelques bouteilles d’eau de vie, et de les réduire à la misère. […]

Ils se sont révoltés deux fois contre les autorités fédérales qui ne tenaient pas un compte équitable de leurs griefs et qui favorisaient les émigrants à leur détriment. Ces révoltes, qui, en principe, pouvaient être légitimes, étaient pratiquement insensées et aboutirent à leur écrasement.

Maintenant, à part quelques heureuses exceptions, leur sort est plutôt misérable. Désemparés, abandonnés de tous et surtout d’eux-mêmes, ils donnent le douloureux spectacle d’une race qui tend à disparaître, prouvant à leur façon la fausseté de la doctrine du progrès continu tant prônée par les évolutionnistes modernes dont l’expérience est aussi courte que grandes sont leurs prétentions.

L’infériorité des races nègres, sauvages et métisses, par rapport aux races blanches, est une vérité proclamée depuis des siècles, que les faits authentiques de l’histoire n’infirment point. L’heure où les Noirs et les Indiens seront devenus nos égaux n’a point encore sonné. Qu’on les traite avec justice, avec charité, avec tous les égards et la protection que leur faiblesse réclame, c’est notre devoir. Mais de grâce ! qu’on évite d’en faire des arbitres politiques, d’aucune section du pays ! »
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Voilà une très « héroïque » et très « pittoresque » description des Métis du Canada ! Encore heureux que le Très Révérend Père Alexis ait été Très Révérend, Père et de surcroît de la confrérie des Frères Mineurs Capucins, et que cette belle âme se soit ainsi faite porteuse du message universel voulant que tous les êtres humains sont égaux devant Dieu et devant la loi ! Doublement heureux nous le sommes également, de voir que le Très Révérend Père ait pris un peu de son précieux temps pour nous « venger des calomnies et des mépris » des écrivains anglais. Après un tel sermon, on ne peut que s’étonner de savoir qu’il y ait encore un ou deux Métis dans ce pays pour saluer l’expression de cette plume vengeresse…

Comment ne pas s’étonner, en effet, d’une telle suite ininterrompue de dérapages ? Les Métis sont « une race inférieure ». Prétendre qu’il s’en trouve un ou deux au Québec abâtardi le peuple québécois, le souille, le place sous « le sceau de l’infamie ». Et les enfants des Canadiens français qui se sont accouplés à des Sauvagesses dans les huttes des bois sont « pure perte ». Après un tel enseignement énoncé comme une vérité de l’Évangile, devant un tel rejet et face à un tel jugement moral qui renvoie à l’hybridité animale, comment trouver alors la force de se proclamer Métis quand, à l’époque, on est né à l’ombre du clocher, quand on vit dans cette ombre dogmatique infernale sitôt sorti du bois, et qu’il est impensable de rendre son âme à son Créateur avant d’avoir été gratifié des derniers sacrements ?

Témoin des ravages persistants de cette infernale persécution identitaire et de cette insoutenable répression de l’identité ethno-culturelle métisse dont plusieurs de nous sont les dignes héritiers et les transmetteurs sacrés ; témoin, cet extrait d’une chronique (« Le Fils de l’Étoile du Matin »), que j’ai publiée en 1993 dans un livre autobiographie (Mémoire d’un Tireur de Roches), en fait bien avant que ne soit lancée la controverse de l’Approche commune. Ce cri du cœur, à cette époque un cri de douleur, se voulait, comprenons-le ainsi, celui de ma propre délivrance, celui de ma fierté de pouvoir dire enfin que je suis né métis, d’un père métis et d’une mère métisse, des parents à qui on avait appris, en ces temps de répression religieuse infernale, à croire qu’il s’agissait là d’une tare à cacher au regard des autres, un péché mortel de nos ancêtres qui s’étaient mariés « à la mode du pays » et qu’on se devait d’expier pour eux. L’extrait mérite le détour :

« D’ailleurs, nous jeunes Québécois, avions toujours à l’esprit les interminables cours d’histoire du Canada, béatement prodigués par les frères Maristes qui nous remémoraient avec émotion —pour ne pas dire avec dévotion — l’infâme massacre de Lachine (tout près de Montréal), l’incroyable sacrifice de Dollard des Ormeaux et le massacre des « saints » martyrs canadiens qui avaient généreusement payé de leur vie le fait d’avoir voulu évangéliser —quelle hypocrisie— les méchants Iroquois… alliés démoniaques de nos ennemis « naturels », les Anglais. Eh oui ! nous, premiers rejetons du baby boom, dernière production d’avant la Révolution tranquille, traînions comme un forçat traîne ses fers, les puériles croyances et surtout les injustes préjugés accumulés par trois cents ans d’assimilation et d’histoire écrite par les Blancs et, virtuellement, au seul avantage des Blancs pure laine.

Je me souviens très bien, au cours de mes premières années d’école, qu’il n’était pas de mise d’avouer sur la place publique ses origines autochtones. Surtout pour moi, qui étais de descendance française, montagnaise et écossaise [par mon père et par ma mère], mon prénom, à connotation anglophone, faisait littéralement paniquer mes instituteurs du primaire qui tentèrent tous, les uns après les autres, de le transfigurer en écrivant « Rocel » au lieu de « Russell » ; comme si le fait d’avoir un tel prénom m’enlevait tout droit à la dignité humaine.

Étant encore tout jeune, ma mère, qui ne parlait jamais de ses sauvages origines pour des raisons évidentes, m’avait même raconté que lors de mon baptême, le curé de la paroisse Sainte-Anne s’était farouchement objecté à ce choix hérétique (n’oublions pas qu’il n’y a pas de saint Russel)… »
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Première phase de métissage

Première phase de métissage euro-amérindien
au Saguenay—Lac-Saint-Jean : le cas de Nicolas Peltier, père des Métis… et des Ilnutsh saguenéens !


À gratter la masse de documents d’archives qui s’est appesantie au fil des années, à questionner la mémoire orale que ces historiens d’une autre époque n’ont su entendre, et à dépoussiérer les vieux registres oubliés qu’ils ne connaissaient manifes-tement pas, le fond de l’histoire du peuple métis canadien se lit bien autrement au Saguenay et au Lac-Saint-Jean, où, à l’instar des descendants de la nation montagnaise (ressuscitée dans la nation Ilnut52) que l’histoire avait voulue également enterrer vivante, ils ont entrepris de sortir du tombeau de l’oubli. Et s’il faut faire démonstration d’une telle réalité, citons pour preuve l’un des premiers cas de mariages mixtes dûment enregistrés entre Blancs et Indiens ; celui de Nicolas Peltier (dit Bonhomme)* , père des Métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui est aussi… l’ancêtre commun de tous les ilnuths de Mashteuiatsh53. Cette union singulière va nous permettre de mettre le doigt sur une page importante de ce registre oublié —ou évacué— de l’histoire canadienne, soit celle de la naissance de la nation métisse de la Boréalie québécoise.

Pour comprendre l’importance que revêt cette rencontre ethno-culturelle dans l’histoire de l’Amérique du Nord, il faut remonter plus précisément au milieu de la décennie 1660, alors que l’univers amérindien de la Laurentie (et du Saguenay) est en train de muter sous le poids d’un effondrement démographique qui s’explique par les guerres intertribales séculaires, par les famines de plus en plus meurtrières, et par les épidémies venues d’Europe et contre lesquelles ils n’étaient pas immunisés. L’hécatombe était telle, qu’en 1670 il en restait trop peu, entre Mingan et le lac Huron, pour s’imposer à l’encontre des Français qui y avaient pris racines et pour rentabiliser les comptoirs de traite qu’il fallait désormais déplacer dans les territoires jusqu’alors inexplorés, là où avaient entrepris de se réfugier depuis quelque temps les derniers survivants de la diaspora algique.

Acculés au pied du mur, les propriétaires de la Traite de Tadoussac durent donc pénétrer à l’intérieur du Saguenay et du Lac-Saint-Jean où ils établirent des avant-postes (des comptoirs) qu’ils confièrent à des coureurs de bois canadiens-français, des hommes d’une nature nouvelle, qui avaient appris à vivre à la « manière du pays », à chasser et à traiter avec les Indiens en ajoutant à leur nouveau mode de vie des traits culturels euro-canadiens. Pour dire court et bien, rappelons simplement que les postes de Chicoutimi, Métabetchouan, Ashuapmushuan, Nicabeau et Mistassini, des lieux de rencontres préhistoriques, étaient appelés à devenir des centres névralgiques de la traite des fourrures ; ils devaient suppléer, chacun à leur manière, au manque à gagner des anciens postes de la Laurentie. Les récits des missionnaires voyageurs, qui pénétrèrent dans le Saguenay à l’aube des années soixante-dix, sont donc formels ; ils témoignent de la modification intégrale du caractère ethnique et culturel des habitants de la Boréalie québécoise.54

C’est donc dans ce contexte historique que débarqua, au cours de l’automne 1672, soit quelques mois après la construction d’une première maison à Chicoutimi55, Nicolas Peltier56, « pour faire la traitte avec les sauvages [et pour] hyverner au Lac Saint-Jean dit Pakougamy ». À son arrivée au Saguenay, Peltier alla planter sa tente sans plus tarder à la Belle-Rivière (sur la voie d’eau menant du Saguenay au lac Saint-Jean), où il se prit d’affection pour une Montagnaise de l’endroit, Madeleine Tego8chik, veuve d’Augustin Sauvage et fille du grand chef Charles Tek8erimat, qu’il épousa chrétiennement en premières noces, le 22 juin 1673. Pour faire bénir son union selon les rites de l’Église catholique, il avait dû cependant obtenir une permission du grand vicaire Dudouygt, sous promesses de résider « avec sa femme, non dans les bois, parmi les sauvages, mais en son habitation avec les Français », et d’y élever leurs enfants « dans les mœurs et la langue française »57.

En dépit de cet engagement formel, le 18 septembre, le couple Peltier- Tego8chik s’associait à un certain Jean-Paul Maheust (greffe de Rageot) pour aller faire la traite et chasser au lac Peok8agamy (lac Saint-Jean), parmi les Sauvages. L’affaire fut certainement menée rondement puisque le 21 octobre 1674, il était avec sa femme à Chicoutimi pour tenir un enfant sur les fonts baptismaux, et qu’il répéta l’expérience du parrainage au Lac-Saint-Jean le 12 juin 167658, après un bref retour à Sorel où il avait enregistré son premier enfant, une fille, Marie-Jeanne (baptisée le 4 janvier 1675 et élevée à Sorel), qui est à la source de la lignée métisse de Hugh Blackburn59. Ce fut le seul enfant issu de cette union, puisque Madeleine Tego8chik mourut et fut inhumée au Lac-Saint-Jean par le père de Crespieul le 24 mars 167760.

Nullement enclin au veuvage et à la solitude en un pays si rude où la femme a plus que son mot à dire dans la survie du quotidien, Peltier se remaria deux mois plus tard à la mission de Métabetchouan (Peok8agamy), le 3 juin 1677, avec Francoise 8ebechinok8e, fille de l’Algonquin Jean 8eskini. Témoins à ces secondes noces, Pierre de Repentigny, Jos du Buisson et Simon Karonisy61. De ce mariage, le couple s’établit à Nicabeau, où ils firent au moins six enfants, des naissances enregistrées à Chicoutimi, mais qui ont eu lieu entre Nicabeau (lieu de résidence du couple) et la Côte-Nord : notons Charles (dit le Vieux Charles, qui exerça l’autorité sur le clan62 Peltier après la mort de son père), né le 20 mai 1679 au Lac-Saint-Jean ; Geneviève, née vers le 13 mai 1682 ; Marie, née le 24 mars 1685, à Nicabeau ; Marie-Jeanne, baptisée le 25 mars 1688 près du lac Mangoung ; Dorothée, née à Papinachois près de Betsiamites le 22 juin 1690 et baptisée à Chicoutimi le 22 juillet suivant63, mais cette fois le registre du père Fabvre donne comme mère le nom de Françoise Etchinesk8at (modification de nom de famille comme il arrivait souvent) ; Marie-Madeleine, baptisée le 26 juin 1693 à Chicoutimi (nom de la mère dûment enregistré cette fois-ci, Françoise 8itiskaganisk8e64) ; et François-Bonaventure, baptisé à Métabetchouan, le 14 juillet 1695, à l’âge d’un mois.

Impossible de savoir la date et le lieu de la mort de Francoise 8ebechinok8e. Mais elle arriva inévitablement entre juillet 1695 et le 5 août 1715, puisque cette dernière date correspond à celle de son troisième mariage, contracté avec Marie Pechabanokueu, fille de Jean-Baptiste 8atshi8anish et de Jeanne-Suzanne Eiaeriteskoue (la fille de Nagagourit). Peltier était alors retraité au poste de Chicoutimi, où il eut avec cette dernière au moins un enfant : Marie, baptisée à Chicoutimi au mois de juin 1716 65. Ce fut, semble-t-il, le dernier enfant du Bonhomme Peltier qui mourut à Chicoutimi le 12 février 1729. Le vieil homme se préparait à entrer dans sa quatre-vingtième année et régnait alors sur son clan, respecté des siens comme le prouve l’oraison que lui fit le père Laure le jour de son inhumation au cimetière de la mission de Chicoutimi : « 12 février 1729 – Nicolas Peltier, Français de nation vivant à l’indienne, est décédé, presque centenaire [sic], muni de tous les sacrements, et a été inhumé selon les rites, par moi, P. Laure, dans le cimetière de Chicoutimi »66.

« Français de nation vivant à l’indienne » ! Difficile de trouver meilleure preuve de l’héritage humain et culturel que le Bonhomme Peltier laissait derrière lui au Saguenay. À elle seule, cette épigraphe burinée sur la pierre tombale du patriarche, couronne et résume le premier chapitre de l’histoire de la nation métisse de Chicoutimi, creuset du peuple métis du Domaine du Roi. Pour être juste avec tout un chacun cependant, il faut prendre le temps de dire que ce produit original de l’histoire de l’Amérique du Nord n’est pas unique à la Boréalie québécoise. À la fin du Régime français, ce trait de caractère de la diversité ethno-culturelle laurentienne était déjà si apparent dans le paysage, qu’il n’échappait pas au regard des explorateurs européens arrivés sur cette fin de chapitre.

De passage à Québec au début du mois d’août 1749, Pehr Kalm (1716 † 1779), un naturaliste suédois délégué par l’Académie royale des Sciences de Suède dans le but d’y découvrir des espèces nouvelles susceptibles d’être acclimatées en Scandinavie, note à cet égard, que « les Sauvages du Canada ont maintenant leur sang profondément mélangé à celui des Européens et qu’une grande partie des Sauvages actuellement vivants tirent leur origine première d’Europe »67. Idem pour une portion des Canadiens, dont on ne sait plus très bien de quelle nation nouvelle ils appartiennent, poursuit-il : « On connaît également plusieurs exemples de Français qui ont volontairement épousé des femmes indigènes et ont adopté leur mode de vie, note-t-il encore ; par contre on n’a pas d’exemple qu’un Sauvage se soit uni à une Européenne et ait pris sa façon de vivre…68 » La suite lui donnera pleinement raison…

À partir des registres généalogiques construits par Alemann et sur la base de cette histoire dont les grands thèmes ont déjà été publiés dans Le dernier des Montagnais (Russel Bouchard, 1995), un spectre se dégage déjà pour les populations autochtones de l’ensemble des Postes du Roi : en plus d’être l’ancêtre commun de 100% des Ilnutsh, le sang de Nicolas Peltier* coule dans les veines d’un peu plus de 50% des Métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean–Côte-Nord ; celui de Louis Chatelleraut*, qui arrive vers 1720, coule dans celles d’environ 60% d’entre eux ; celui de Joseph-André Collet, de Louis Gariépy, d’Antoine Lavaltrie et d’Antoine Riverin, qui apparaissent dans les dernières décades du Régime français, coule dans environ 40% ; celui de Pierre Volant et de Barthélémi Hervieux, qui débarquent dans les premières années du Régime anglais, coule également dans le 40% ; et ceux qui ont été épargnés par cette mixité exponentielle —s’il en est encore—, perdront leurs prétentions avec l’arrivée des Écossais, fin XVIIIe début XIXe.

Cela étant, tous ces gens d’origine euro-amérindienne sont donc des autochtones au sens de l’article 35 de la Constitution canadienne et ont ainsi droit de réclamer le statut particulier qui y est rattaché : ils appartiennent au même sang ; ils vivent en communautés sur un territoire donné ; et ils partagent une culture commune qui leur est propre et qui les distingue des autres collectivités canadiennes. À eux seuls, ces quelques mariages euro-amérindiens des premiers temps, forment ainsi l’ossature du squelette des premiers clans du peuple métis qui occupe aujourd’hui le territoire de l’ancien Domaine du Roi (voir la carte, à l’Annexe 5), ce que les Ilnutsh disent être, depuis peu, le Nitassinan69. Cette Terre, ils la réclament et exigent en exclusivité à titre d’autochtones du Canada, sans tenir compte de la réalité métisse, passée et présente. La suite en fait foi : cette injustice, fruit d’un projet politique déphasé qui vise à dépouiller une collectivité ethno-culturelle spécifique (les Métis) au profit d’une autre (les Ilnutsh), est assise sur une écriture incorrecte et parcellaire de l’histoire des peuples autochtones de la Boréalie québécoise, une histoire qui reste résolument à écrire en tenant compte de ce qui a été dit et de ce qui suit…

Deuxième phase de métissage

Deuxième phase de métissage euro-amérindien
au Saguenay—Lac-Saint-Jean : la pulsion écossaise à l’époque de McLaren


Le rapport signé par l’intendant Hocquart en 1733 en fait foi avec une rare éloquence70 : malgré tous les efforts déployés conjointement par les autorités coloniales, par les propriétaires de la Traite de Tadoussac et par les missionnaires pour tâcher de rétablir la population autochtone du Saguenay–Lac-Saint-Jean déjà marquée par les spasmes apocalyptiques du siècle précédent, l’effondrement démographique n’a pu être jugulé. N’eut été des Canadiens et des Métis euro-amérindiens venus combler, encore une fois, les lits évidés au sein des dernières familles de Métis et d’Indiens de Chicoutimi, du Lac-Saint-Jean et de l’Ashuapmu-shuan, il est permis à l’Histoire de se questionner sur la suite des événements. En 1763, cela a déjà été écrit également dans Le dernier des Montagnais71 et jamais démenti avec l’éloquence du génie, lorsque le roi d’Angleterre signait la Proclamation royale ; il ne restait pas 40 enfants des bois voire 30, tant Métis qu’Indiens, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Et ce n’est que par l’apport d’un sang nouveau —le profil généalogique de la population autochtone régionale en fait foi— venu de quelques Canadiens français débarqués à la suite des premiers, de quelques Écossais (arrivés sur le tard du XVIIIe siècle et au cours du XIXe), et de quelques Indiens venus de la Côte-Nord voire du pays des Naskapis72, que cette Histoire a pu suivre son cours en évitant le pire du drame.

Le journal tenu, entre 1800 et 1804, par l’Écossais Neil McLaren, alors qu’il était en charge des postes de traite du Saguenay–Lac-Saint-Jean, donne une assez bonne idée de l’ossature démographique et de la structure de la société saguenéenne en ces heures de renouveau73. Il témoigne, à lui seul, de l’organisation d’une société harmonisée en fonction d’une collectivité métisse et d’une collectivité indienne qui ont leurs propres habitudes, leurs aires d’occupation et leurs chefs. En plus de s’inscrire dans un des épisodes les plus marquants de l’histoire de l’Amérique du Nord, le journal de McLaren produit effectivement une photogravure épurée de la société chicoutimienne d’alors et témoigne, à sa façon, des traits de caractère de la vie quotidienne dans ce poste de traite de la frontière nord (Chicoutimi), des us et coutumes du milieu, des particularités de la faune et de la flore. La petite société, peu nombreuse mais tout de même hautement hiérarchisée, se divise en trois segments ethniques : au sommet de l’échelle sociale se trouvent les « engagés », viennent ensuite les « gens libres » qui sont qualifiés ainsi à cause de leur union avec une indienne ou à cause de leur condition de Métis, et enfin les « Indiens ».

La première cellule, exclusivement masculine et essentiellement exogène au milieu, compte rarement plus de six membres : toujours des blancs, français ou écossais venus de Québec pour exécuter la tâche définie par l’employeur et pour le terme de leurs contrats respectifs. Au sein de cette fratrie particulièrement précaire et volage, on retrouve d’abord et avant tout un commis, maître incontesté de céans et écossais pur tartan pour l’heure. Cet homme est chef suprême des lieux —après le «superintendant» Stuart évidemment... et Dieu s’il y croit. Il trône sur quatre engagés à la fois, tous Canadiens ou Métis, qui sont en mesure de répondre à tous les besoins du poste, et enseigne les rudiments de son art à un garçon qui fait office d’apprenti, d’aide de camp, de mousse, de chasseur et de commissionnaire. Au cours de l’administration de Peter Stuart (1786-180274), ces subalternes se nomment Jullien, Chamberlant, Lagrange, Baillargeon, Dugal, Riverin, Gosselin et Savoie ; alors que sous l’administration Shaw (1802-180875), ces noms sont remplacés graduellement par Crépeaux, Tranquille, Dionne, Robillard, Dufresne. Élément singulier qui mérite d’être souligné, en plus d’être totalement affranchie de femmes cette classe ne compte aucun autochtone dans ses rangs.

La deuxième cellule de la société chicoutimienne, celle des « gens libres », forme un petit peuple en soi qui se retrouve en deux ou trois familles —ou plutôt des clans— métissées et issues d’un mariage contracté souvent à la « mode du pays », entre un homme blanc et une Indienne (jamais le contraire). Par leur statut particulier —Métis par alliance ou de naissance—, qui les libère de l’emprise du monopole des fourrures, ces gens qui sont à la base d’une nouvelle communauté ethno-culturelle au sein de la communauté régionale, habitent la région depuis les premiers contacts et n’ont pas à justifier leur présence dans la région : en raison de leur ascendance amérindienne ou métisse, de leur alliance conjugale et de leur progéniture métissée qui s’ajoute à ces autres depuis la fondation du poste de traite de Chicoutimi, ils occupent le territoire au même titre que les Indiens, peuvent conséquemment planter leur tente ou construire leur hutte où bon leur semble, chasser et pêcher en tout temps de l’année pour satisfaire à leurs besoins primaires ou pour leur propre profit. À n’en pas douter, ils perpétuent le noyau de la collectivité métisse du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

À Chicoutimi, à l’heure qui nous occupe, deux unités familiales, des clans établis dans le giron du chef qui est aussi le plus vieil homme du groupe, forment l’ossature de ce modeste noyau : la famille de Jérôme Saint-Onge*, et celle de François Verrault*, deux « Saguenéens » plus Indiens que Blancs. Le premier est un coureur de bois dans le sens profond du terme ; il connaît l’arrière-pays comme le fond de sa poche, le court avec grande aisance hiver comme été, beau temps mauvais temps, mais garde un pied-à-terre tantôt à Chicoutimi, tantôt à Métabetchouan pour meubler son sentiment d’appartenance. Et le second vit en permanence avec sa fée des bois et la progéniture qu’elle lui a donnée dans leur cabane des Terres-Rompues où ils règnent en seigneurs en tous temps de l’année. Au milieu d’eux, un solitaire, Métis sans compagne rendu à bout d’âge, occupe le rôle de sage et meuble en quelque sorte l’âme sacrée des lieux : c’est nommément le cas de Louis Verrault, surnommé le « Vieil Homme », l’oncle de François, à vrai dire une mémoire vivante qui prend sa pipée comme bon lui semble en regardant passer les outardes avec les saisons, répare filets et raquettes et se rend utile du mieux qu’il peut au sein de la communauté.

Bien qu’il ne tienne pas compte des Métis qui portent un nom indien et qu’il a assimilés à la population indienne d’alors, le recensement nominatif colligé en juillet 1839 par l’abbé Doucet (voir Annexe 6), le missionnaire des lieux, dénombre au moins 35 familles métisses (le terme est nommément confondu d’un recensement à l’autre) vivant en permanence au Saguenay–Lac-Saint-Jean. À Chicoutimi, on note dans ce registre officiel la présence de Joseph Hatchimbac et de sa femme, assurément une Indienne ou une Métisse ; de Jérôme St-Onge, sa femme indienne et leurs deux enfants, qui occupent l’espace des Terres-Rompues ; de Cyriac Buckell, sa femme indienne ou métisse et leurs trois enfants, qui occupent l’espace du lac Kénogami ; de William Connaly (nommément qualifié de « Métis » dans le recensement), sa femme indienne ou métisse et leurs deux enfants, qui accompagne McLeod lors de l’équipée de 1842, et qui vit avec sa Montgnaise sur les bords de la rivière Chicoutimi76 ; de Joseph Denis, un Métis micmac (ou plutôt un Malécite) qui vit seul ; d’Édouard St-Onge (nommément qualifié de « Métis » dans le recensement), en parenté avec le premier, qui vit là avec sa femme. À Métabetchouan, le recensement nomme Jacob Dechesne, sa femme indienne ou métisse et leurs huit enfants ; et Simon Ross, qui file parfait bonheur avec sa fée des bois. Et dans l’Ashuapmushuan, il est nommément question du « Métis » (ainsi qualifié) Joseph Verrault, sa femme et leurs deux enfants.77

Et la troisième cellule constituant cet autre bras de l’ossature de la société chicoutimienne, démographi-quement la plus importante en nombre, celle des « Indiens » (dont la plupart des familles se confondent dans les familles métisses), se divise elle-même en deux groupes : d’abord les sédentaires qui ont appris à vivre autour de Chicoutimi où ils chassent et pêchent une partie de l’année en partageant le territoire avec les Métis, font des canots, des raquettes, des mocassins et des courses pour les besoins du poste et tirent au flanc dans les environs le reste du temps en espérant recevoir quelques douceurs du commis et une lampée de whisky ; et ensuite les nomades, le gros de la troupe, des Indiens dans le sens culturel du terme, qui descendent au moins une fois l’an pour trafiquer leurs fourrures, fraterniser avec leurs cousins du Saguenay et d’ailleurs, faire la foire et rencontrer le missionnaire.

Selon ce qui ressort de l’examen des noms relevés dans le journal de McLaren, le poste trafique avec une quarantaine de familles majoritairement composées de Montagnais plus ou moins métissés (mais qui ont gardé les noms autochtones en raison de l’ascendance paternelle qui les identifie), de migrants venus du sud au XVIe siècle (Mics Macs, Hurons, Abénakis et Naskapis), et de Métis de vieilles souches (et les Fontaine, Jérôme, Joseph, Nicolas et Zachariah qui sont nommés dans le présent journal témoignent justement de cette alliance inter-ethnique).

Ces bandes itinérantes, évaluées à au moins quatre unités, vivent dans une certaine harmonie sur la base des territoires de chasse et de trappe distribués selon les termes définis par l’histoire, la tradition et les particularités hydrographiques du milieu où elles évoluent : à l’est, c’est-à-dire dans le périmètre immédiat du poste, se trouve évidemment la bande de Chicoutimi, qui comprend les territoires de chasse du Bas-Saguenay, définis à partir des affluents Shipshaw, au Sable, Chicoutimi, du Moulin, au Caribou et Valin ; au sud du poste de traite, se trouve la bande du lac Kénogami, qui gère les tributaires du plan d’eau (rivières Cyriac, Chicoutimi sud, aux Écorces) ; au centre, se trouve la bande du lac Saint-Jean, qui regroupe les familles réparties autour du Piekouagami et le long de ses tributaires (rivières Ouiatchouan, Grande Décharge, Péribonka, Métabetchouane, Mistassini, aux Rats et Mistassibi) ; et à l’ouest se trouve la bande de l’intérieur des Terres (ou bande d’Ashuapmushuan), qui comprend les familles indiennes évoluant dans le périmètre des lacs Ashuapmushuan, Nicabau et Mistasini et de leurs tributaires.

Chacune des bandes est chapeautée par un chef —masculin de toute évidence— qui n’a manifestement plus le panache des chefs d’antan et qui ne semble pas avoir beaucoup d’ascendance sur ses congénères. De fait, le rôle principal de ces meneurs revêt un caractère plus symbolique qu’efficient ; il consiste plutôt à marquer la cohésion du groupe lors des rassemblements printaniers et, plus spécifiquement, à assurer le respect des territoires de chasse et de trappe familiaux. Ainsi, la bande de Chicoutimi est dirigée par le chef François Tsherinu, celle du lac Kénogami par Grégoire Ustequan, et celle du lac Saint-Jean par Mirabiwite. Quant à la bande (ou les bandes ?) de l’intérieur des Terres, le nom du (ou des) meneur (s) ne s’est pas transmis jusqu’à nous. Et selon ce qui ressort du journal de McLaren, chacune des rivières importantes accueille environ deux familles qui vivent parfois sous la même tente. Et même si les guerres indiennes appartiennent à l’histoire depuis la signature de la paix iroquoise en 1701, deux Indiens de la bande montagnaise de Chicoutimi, fils de Ukinikushu, se prévalent encore du titre honorifique de « guerriers ».

Indiens-métis ou Métis-indiens ?

«Indiens-métis ou Métis-indiens ?
Le cas de l’union McKenzie – Matchiragan,
une histoire qui illustre toutes ces autres


Bien qu’il soit assez difficile de chiffrer avec précision le nombre d’individus qui composent la société autochtone —donc métisse et indienne78— du Saguenay–Lac-Saint-Jean en 1800, nous savons à tout le moins qu’elle dépérit effectivement à vue d’oeil et qu’elle est au seuil de l’extinction.79 En 1804, David Stuart l’évalue à environ 1 000 âmes réparties entre la rivière Saint-Maurice, les Postes du Roi, la seigneurie de Mingan et la côte du Labrador. Et en 1809, ils ne sont plus que 800 qui errent sur cet immense territoire.80

Le 29 juillet 1839, le recensement de l’abbé Isidore Doucet, curé de l’Ile-Verte et missionnaire dans les Postes du Roi lors du déclenchement de la marche du peuplement au Saguenay fixe la population des postes de Chicoutimi (qui inclut alors la bande du lac Kénogami), Métabetchouan et Ashuapmushuan à 247 individus, dont 198 autochtones Indiens et Métis confondus (c’est 0,05% de la population autochtone du Bas-Canada et des Postes du Roi confondus81), et 49 gens libres et engagés : 68 à Chicoutimi, dont 46 autochtones (qui ont des noms presque exclusivement métissés), 18 gens libres et les 4 membres de la famille du commis Simon Mc Gillivray ; 84 à Métabetchouan, dont 74 autochtones (qui ont des noms majoritairement métissés), 10 gens libres et les 3 membres de la famille du commis Simon Ross ; et 82 à Ashuapmushuan, dont 78 autochtones (qui ont conservé majoritairement leurs noms montagnais), et les 4 membres de la famille du commis, le Métis Joseph Verrault (lui, sa femme, une fille et un garçon).82

Les Verrault, les St-Onge, les Ross, les Buckell et les Connaly ne sont pas seuls à s’être ainsi ajoutés aux Canadiens français des XVIIe et XVIIIe siècles. S’associent à ce groupe pour unir leurs qualités aux deux collectivités métisse et indienne du Saguenay–Lac-Saint-Jean–Côte-Nord, notamment, par ordre alphabétique : les Cleary, les Kurtness, les Mc-Enzie, les McLeod, les McNicoll, les Murdock, les Robertson et les Villeneuve. Pour une raison ou pour une autre méritant d’être questionnées par les historiens, ces familles se sont éparpillées, au hasard de l’histoire, dans les quatre coins des Postes du Roi pour s’associer soit à la branche ethno-culturelle métisse soit à la branche ethno-culturelle indienne dont elles constituent aujourd’hui autant de rameaux de ces deux nations.

Pour illustrer cette particularité de la marche du peuplement des deux groupes autochtones de la Boréalie, citons le cas des quatre enfants issus du mariage de James McKenzie* et de la Montagnaise Adélaïde Matchiragan, elle-même une descendante d’Antoine Lavaltrie. De cette union faite, « à la mode du pays », naquirent ainsi quatre enfants —évidemment métis : Adélaïde, qui maria le Métis Michel Bacon ; Alexandrienne83, qui unit sa destinée à celle de François Maltais ; Grégoire, qui maria une certaine Adélaïde, le prénom était populaire à l’époque ; et Georges, qui en fit autant avec la Métisse Gémina Blackburn.

Ces quatre enfants furent donc éduqués sur la piste comme on dit en Amérique du Nord pour parler de la frontière de l’arrière-pays. Ils durent chasser, pêcher et trapper pour survivre, s’adapter aux nouvelles manières de faire, progresser ; ils connurent les rites de passage tant indiens qu’euro-canadiens jusqu’à leur majorité ; ils participèrent aux industries définies autour de l’économie de traite (une économie apportée par les Européens mais alimentée à la base par les enfants des bois) ; et ils partirent essaimer dans les quatre coins des Postes du Roi. Les quatre enfants issus de ce lit honoré à « la mode du pays », entamèrent donc leur vie d’adultes avec un même bagage ethno-culturel de nature euro-amérindienne, mais connurent une existence différente, une existence évidemment conditionnée par leurs propres choix de vie et par les particularités de leurs unions respectives.

D’une part, Adélaïde et Grégoire, chacun en leur temps, embarquèrent dans leurs canots d’écorce avec leur conjoint (e) respectif (ve), et allèrent grossir les rangs de la collectivité indienne-métisse de la Côte-Nord qui était alors soudée autour de la mission de Betsiamites ; leur intégration fut si naturellement établie, que le fils du couple McKenzie-Bacon, Moïse, devint même chef de Betsiamites et participa à la révolte de 1885 qui marquait le début d’un nouveau rapport de forces entre le Canada et les indiens-métis de la Côte-Nord84. D’autre part, Alexandrienne et Georges suivirent une voix ethno-culturelle apparentée mais différente, puisqu’ils furent amenés à participer, à leur façon, au mouvement de colonisation du Saguenay–Lac-Saint-Jean initié en 1838 par la fameuse Société des Vint et un : Alexandrienne suivit son mari à Chicoutimi qui choisit de s’installer dans les environs des Terres-Rompues pour donner naissance à deux clans métis, celui des Maltais et celui des Tremblay Kessy ; alors que Georges, pour une raison et pour une autre qui le concernent en propre, fit sa vie à Québec où il mit au monde au moins un fils (nommé également Georges) qui migra avec sa femme (Lumina Sheehy) à Roberval, pour vivre sa vie dans l’aire culturelle de la réserve indienne de Pointe-Bleue et du village de Roberval.

Ainsi donc, une famille métisse placée devant la lentille de l’histoire qui n’a pas fini de s’écrire, celle du couple James McKenzie - Adélaïde Matchiragan. Mais des enfants appelés, par l’histoire et le hasard, à suivre deux parcours socio-historiques différents : l’un indien-métis, l’autre métis-indien, ce qui est de l’ordre naturel des choses quand on comprend et accepte le fait que c’est là une manière d’accomplissement naturel de toute société humaine en marche, d’une société qui s’adapte, change, évolue, s’accomplit. Placée dans un tout autre contexte, l’histoire de cette famille euro-autochtone pourrait s’avérer exceptionnelle. Mais placée dans le contexte particulier de la Boréalie québécoise d’alors, elle relève de la nature des hommes et des femmes qui la peuplent, de l’environnement naturel et de la géographie qui les soumettent, et de la culture qui en découle. En fait, cette histoire, c’est un peu celle des Peltier, des Lavaltrie, des Bacon, des Ross, des Murdock, des Villeneuve et des McLeod pour n’en nommer qu’un échantillonnage. Et la conclusion à cette histoire en rappelle une autre, tenue en 1995 dans Le dernier des Montagnais :

« Il y a de cela un demi-millénaire déjà, un continent nouveau, jusque-là maintenu dans l’état le plus primitif qui soit, quittait la nuit des temps pour faire son entrée dans la grande Histoire. Dès les premiers contacts établis entre les deux Mondes, des alliances militaires furent conclues pour le profit de tous, des promesses furent proférées de part et d’autres, des échanges commerciaux et culturels soudèrent l’interdépendance des peuples en présence et une culture nouvelle s’imposa d’elle-même en empruntant le sillon tout tracé de la marche de l’Humanité. À partir de ces premiers instants qui lièrent les uns aux autres, plus rien ne devait être comme avant. Plus rien n’allait jamais être comme avant… »85