vendredi, janvier 25, 2008

Larry Bélanger ou le cri de révolte du Héron Bleu (hommage à l'un des nôtres)

UNION METISSE EST-OUEST
LARRY BELANGER OU LE CRI DE REVOLTE DU HERON BLEU

par Ismène Toussaint

« Nous sommes un peuple ou nous ne le sommes pas. Et si nous sommes un peuple, qu’on nous reconnaisse d’abord ! »– Russel Bouchard

Chef métis de Rivière-Verte (Nouveau Brunswick), Père de l’Union métisse Est-Ouest dans sa province et chef spirituel du groupe artistique L’Oeil culturel autochtone, Lawrence, dit « Larry », Bélanger, a toujours souffert de ne pas pouvoir s’exprimer dans un média. Par conséquent, je suis heureuse de lui offrir aujourd’hui cette tribune.

D’ascendance irlandaise, Malécite par son père (Nation Madawaska)et Micmac par sa mère, ce Métis de langue française a vécu dans la réserve de Saint-Basile (Etat du Maine) avant de s’établir au Québec puis au Nouveau-Brunswick. Animateur d’événements autochtones, c’est surtout un artisan ébéniste et un sculpteur œuvrant dans le plus pur esprit de ses ancêtres Premières Nations : « Depuis l’enfance, je fabrique des bijoux, des capteurs de rêves, des porte-bonheur, des paniers et des couteaux, explique-t-il fièrement. Les matériaux que j’utilise sont l’écorce de pin, le cèdre, le cuir, les os d’animaux, les plumes, les billes de bois ou de métal, jamais de perles en plastiques qui sont réservées à l’artisanat de pacotille. Depuis 1969, je sculpte essentiellement le bois et la pierre à savon ou stéatite : des personnages, des têtes d’Indiens en relief des animaux, des paysages ; je crée aussi des tableaux sur du cuir repoussé, du plomb et du plâtre naturel ou peint en respectant les couleurs de la nature et des créatures. Mais je ne confectionne que sur commande des régalias ou atours de cérémonie, des vêtements, des mocassins et des tambours car la préparation et le tannage du cuir exigent un grand investissement de temps : il faut laisser la peau de l’orignal, de l’élan ou du chevreuil tremper vingt-et-un jours dans une solution puis enlever le poil, la chair, le gras, jusqu’à ce qu’on parvienne à la peau crue, la babiche. A partir de là, je fabrique le cuir que j’enduis de cervelle d’animal, comme d’une huile, ce qui le rend plus souple et lui permet de conserver sa couleur. »

Dans ces jeunes Malécites et Micmacs auxquels il a vainement tenté de transmettre son art et qui se révèlent « davantage intéressés par le Nintendo et la drogue », Larry Bélanger voit le symbole d’une culture authentique déracinée comme un grand arbre par le spectre de la mondialisation : « Notre spiritualité, nos coutumes et nos traditions se meurent, confie-t-il d’une voix triste mais nullement résignée, il n’y a même plus de gardien de la pipe chez les Malécites et seuls les anciens parlent encore notre langue… Ici, l’argent est roi : les gens des réserves sont achetés, manipulés, dupés par les discours des gouvernements qui entretiennent les discordes entre autochtones pour imposer leur loi. D’ailleurs, ici, le gouvernement n’est rien d’autre qu’un cartel qui possède 80 % du pays, ne paie pas d’impôts et contrôle tout. On achète les maisons des autochtones à n’importe quel prix en leur faisant croire qu’ils sont gagnants et on les démolit comme des nids de hérons, on vend les terrains des réserves qui rapetissent de jour en jour : au moins, dans les siècles passés, nos aïeux pouvaient encore chasser et pêcher ! J’ai souvent dénoncé ces faits mais on m’a traité de révolutionnaire et prié de me taire par crainte des représailles. »

Poursuivant sa diatribe, notre interviewé expose la situation des Métis de l’Est, assurément l’une des plus douloureuses qui perdure au pays : « Il a fallu attendre cinq générations avant de prendre conscience de son identité, d’oser s’affirmer comme Métis et de s’interroger sur son devenir, déclare-t-il. Il y a longtemps que j’essaie d’aider les miens mais à la moindre velléité de rapprochement ou de ralliement, il s’est toujours trouvé quelqu’un pour nous mettre des bâtons dans les roues, acheter les leaders, vendre de fausses cartes d’identité métisse ou proclamer qu’il n’y a pas de Métis au Nouveau-Brunswick. L’Union métisse Est-Ouest que vous avez fondée avec Gabriel Dufault (1), Raymond Cyr, Archie Marin et d’autres – et là, je lève mon chapeau parce que ce n’était pas évident – nous a apporté un espoir, une dignité, une direction tant humaine que politique et culturelle : je suis fier d’en avoir été nommé l’un des Pères. »

Finalement, c’est tout le processus auquel les pouvoirs publics astreignent le peuple métis pour se faire reconnaître, que le leader remet en question : « Certes, les Métis sont reconnus dans la Constitution, sur le papier mais pas dans les faits, précise t-il. Il faut que chaque communauté ou nation métisse se fasse identifier au niveau provincial puis fédéral et cette démarche demande au minimum… dix ans ! Il faut qu’un ou plusieurs Métis se fassent prendre à chasser ou à pêcher en dehors des périodes et des lieux réglementaires : cela a-t-il de l’allure ? Il faut prouver qu’on appartient à une communauté historique : or, dans les Maritimes, la seule qui existe est celle que Pierre Lejeune avait fondée en 1622 en Nouvelle-Ecosse. Il y en a eu d’autres, bien-sûr, mais elles n’ont jamais été officielles et on nous oblige à courir après des papiers imaginaires, alors que notre culture est avant tout fondée sur la mémoire et la tradition orale. Par ailleurs, les avocats n’acceptent de défendre que les Indiens statués par la loi de 1867. Quant aux Blancs, ils nous méprisent, même si nombre d’entre eux ont du sang autochtone. Aussi vous comprenez que beaucoup de Métis préfèrent vivre sur les réserves avec les Premières Nations quoique celles-ci ne les acceptent pas non plus. Quand tu es Métis, tu es du mauvais côté de la médaille mais je me battrai jusqu’à la fin. Jusqu’à la fin, j’exhorterai les Métis ainsi que les Premières Nations à sortir des réserves et comme l’écrivait Louis Riel, à proclamer haut et fort que les terres, les bois, les eaux leur appartiennent, sous peine de demeurer à jamais les marionnettes des gouvernements et des profiteurs… »

Ismène Toussaint
Auteure et lien-fondateur de l’Union métisse Est-Ouest


(1) A signaler qu’après plusieurs années de bons et loyaux services, l’auteure des présentes lignes avait démissionné de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM), présidée par M. Gabriel Dufault, « pour des raisons de divergences d’opinions et d’objectifs », (lettre au président du 18 mai 2007) ainsi que de sa communauté d’adoption au Québec. Elle est toujours membre de l’Union métisse Est-Ouest et à l’automne 2007, a été nommée membre honorifique du Comité des Métis-à-Riel (siège social : Montréal) ainsi que de deux communautés métisses au Manitoba et en Alberta (note d’Eric Cartier, communicateur).

Texte tiré de : De : La Presse québécoise, avril et décembre 2007

lundi, janvier 21, 2008

Les « Autochtones » et « Nous » – Simone de Beauvoir l'avait déjà compris...


Nous n'avons rien inventé à propos de toutes ces solitudes créées dans la suite des humanités. À preuve, ce constat de l'auteure fétiche Simone de Beauvoir, tel que rapporté ces jours-ci par les propos de Viviane Namaste, de l'Institut Simone-de-Beauvoir. Elle était une grande dame et une belle tête d'humain, comme il arrive parfois, à un siècle, d'en faire ressortir à la fois l'une et l'autre.

À mes yeux, de Beauvoir a été pour Sartre ce qu'Émilie du Châtelet aura été pour Voltaire...

Russel Bouchard

« Les écrits de l'auteure des Mandarins et des Mémoires d'une jeune fille rangée sont aujourd'hui toujours enseignés dans les cours de théorie. Un de ses contributions majeures, selon Viviane Namaste, a été de remettre en question les chercheurs du siècle dernier qui élaboraient des théories en se basant sur des stéréotypes sexistes. « Le « nous » de l'époque n'incluait pas les femmes », rappellent Mme Namaste, qui s'inquiète de la montée d'un « nous » excluant à la fois Autochtones et immigrants dans le Québec d'aujourd'hui ». Cf., Laura-Julie Perreault, « Les héritières de Simone de Beauvoir », in La Presse, 12 janvier 2008, A9.

dimanche, janvier 13, 2008

Le site du Poste de traite de Chicoutimi, un site sacré et Métis d'abord, historique ensuite...

Lettre ouverte à Roger Blackburn, journaliste à la Maison de la Presse, en réplique à son commentaire sur le site historique du poste de traite de Chicoutimi

Le site du Poste de traite de Chicoutimi, un site sacré et Métis d'abord, historique ensuite...

Bonjour Roger,
Je porte une attention toute spéciale à ton papillon littéraire publié dans le Progrès-Dimanche de ce 13 janvier 2008, à propos du site historique du poste de traite de Chicoutimi. Je suis entièrement d'accord avec toi quand tu soutiens que c'est là « un des plus importants vestiges autochtones et métis du Québec », qu'il est « inexploité » et qu'il mérite une attention toute spéciale. À cet égard, je m'empresse de préciser que ce site est le plus vieux site d'occupation humaine remontant à l'époque des premiers contacts euro-canadiens au Saguenay, et que c'est là, en 1671-1672, que Nicholas Peltier (un de mes ancêtres) a semé les premiers germes du peuple Métis de la Boréalie.

Après lui, d'autres sont venus. Ils ont épousé des Indiennes à la mode du pays, y ont fondé familles, y ont fait naître de nouvelles coutumes et y ont été enterrés avec tout le respect qu'on leur devait alors. Ce cimetière, qui les a accueillis, avait reçu, en 1726, une croix de fer forgée à Québec par Jean-Baptiste Lozeau, un maître-serrurier qui était aussi armurier. Cette croix fait encore partie des collections du Musée du Saguenay et devrait avoir été transférée à la Pulperie de Chicoutimi avec le déménagement du Musée.

En 1982, j'étais avec l'abbé Jean-Paul Simard, lors de sa dernière saison de fouilles sur ce site. Il m'avait affecté à deux tâches : creuser avec une petite truelle et un petit pinceau les environs de la chapelle, et essayer de découvrir le site du cimetière des Sauvages où reposent les mânes de nos ancêtres. J'avais, comme assistant et compagnon, un Ilnut de la Côte-Nord. L'abbé nous avait choisi tous les deux pour ce travail (le Métis et l'Indien), parce qu'il savait ce que cela représentait pour nos deux peuples et pour nous, dans notre intimité sacrée. L'abbé Jean-Paul était un père pour nous. Des citoyens de l'endroit étaient venus nous dire qu'ils y avaient trouvé, dernièrement, des os humains, dont un fémur. J'ai vu, avec l'abbé Jean-Paul, ces ossements que nous avons ré-inhumés pieusement, sans dire mot, dans la terre du site, non loin du rocher de la chapelle, dans le vieux cimetière. Nous étions, ce jour-là, très émus lui et moi.

Cela nous remua beaucoup, parce que nous comprenions qu'en dépit de la translations des restes de nos ancêtres sauvages (en 1874) dans la fosse commune du cimetière Saint-François-Xavier (dont ceux du Métis Peter McLeod, l'un des nôtres), que le sacré y était toujours éminemment présent et qu'il s'y manifestait, à travers nous, notre mémoire et notre sentiment d'appartenance à cette terre ancestrale. Tout ça pour te dire que si ce site a une valeur historique pour tous les saguenéens (autochtones et autres), tous les québécois et tous les habitants d'Amérique, il faut comprendre et admettre qu'il reste d'abord et avant tout un site sacré pour les Métis. Son esprit y est encore présent. Il vit en nous et par nous.

Évidemment, je suis d'accord avec une exploitation de ce site, mais, attention, pas n'importe comment ! Il faudra lui consacrer un plan d'intervention intelligent qui tient compte de tout ce qu'il représente. Ne pas oublier, pour un, qu'une fouille archéologique, à laquelle je ne m'oppose pas, aura pour conséquence irréversible de détruire l'intégrité du site et qu'on ne peut pas se reprendre lorsqu'elle aura été effectuée. Pour deux, il faut considérer que ce site porte à lui seul tout le sens de l'histoire du Saguenay, du Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord. Et pour trois, et c'est là le plus important à mes yeux, il y a là, dans ce site, les mânes de nos ancêtres qu'il faut respecter par-dessus tout autre considérant.

Russel Bouchard
Lien de Mémoire de la CMDRSM
Historien officiel de l'Union Métisse Est-Ouest