dimanche, juin 21, 2015

Rencontre annuelle des Métis de la Boréalie sur le site du poste de traite de Chicoutimi





Photos, Gérald Truchon

Texte de Daniel Côté, Progrès-Dimanche, 21 juin 2015
Le Conseil des femmes métisses de la Boréalie aura deux raisons de célébrer aujourd'hui, à l'occasion d'une cérémonie tenue dans ce qui fut le berceau de Chicoutimi. Ses membres, qui invitent tous leurs concitoyens à se joindre à elles, souligneront la Journée des Autochtones, tout en prenant acte des travaux réalisés sur le site du poste de traite.
Respectant une coutume établie en 2005, elles donnent rendez-vous à la population au monument du Côteau-du-Portage, situé à l'angle des rues Price et Dréan. Des offrandes seront effectuées à 9h, prélude à une courte marche vers l'emplacement du poste de traite établi en 1676.
Le nouveau sentier qui descend jusque-là longe une bande rocheuse où se déroulera la deuxième étape de la cérémonie. Au cours d'une visite effectuée jeudi, aux fins de ce reportage, celle qui assume le rôle de lien de mémoire au sein du Conseil des femmes métisses de la Boréalie, l'historienne Russel-Aurore Bouchard, n'a pas fait mystère de son émotion.
«On sent la puissance de la roche et on aime imaginer qu'elle est habitée par l'esprit de nos ancêtres. Ce lieu est torturé, symbolique et inspirant. C'est ici que tout a commencé il y a 400 ans et on est chanceux que ça ait été préservé», mentionne-t-elle.
Un lieu sacré
Pour accéder au troisième et dernier endroit où s'arrêteront les participants, on chemine vers l'espace où sont réalisées des fouilles archéologiques. Là où le sol a été creusé, on remarque des pierres et des fragments de brique rouge, celle qui a servi à construire la troisième et dernière chapelle du poste de traite, ouverte en 1893 et démolie en 1930.
Ce n'est pas la principale destination, cependant. La cérémonie prendra tout son sens lorsque le groupe atteindra le site où, croit-on, se trouvait le cimetière. Certes, les restes des défunts ont été déplacés au cimetière Saint-François-Xavier, mais cette terre demeure sacrée aux yeux des Métis.
«Ici ont été enterrés des Métis, mais aussi des Français, des Indiens et même des protestants, ce qui montre que ce lieu est ouvert aux différences, affirme Russel-Aurore Bouchard. Il représente la dignité humaine et je suis contente que Saguenay l'ait soustrait aux fouilles archéologiques par respect pour nos ancêtres.»
L'une des femmes qui l'accompagnait, jeudi, a ressenti cette présence par-delà les siècles, se disant émue, hésitant à rejoindre les autres à l'endroit où sera plantée une croix de bois cet avant-midi. Fabriquée par Tomy Tomic, elle comporte des éléments symboliques tels des fleurs de lys, du tartan, de la fourrure d'ours, des plumes, de la sauge et du tabac.
«On espère que les gens prendront soin de cette croix qui évoque nos racines judéo-chrétiennes. En cette époque où le gouvernement veut faire adopter une loi bidon sur la laïcité, où le Québec est en perte d'identité, il importe que les peuples fondateurs s'affirment. Ça prend une ligne de conduite dictée par la mémoire», estime Russel-Aurore Bouchard.

Commission de vérité et de réconciliation : Sans les Métis du Québec, rien ne pourra être fait dans le bon sens



Au début du mois de juin, la « Commission de vérité et réconciliation du Canada » (CVR) a rendu public les 94 recommandations adressées aux gouvernements fédéral et provinciaux afin de « remédier aux séquelles laissées par les pensionnats et faire avancer le processus de réconciliation ». À juste titre, le rapport de la Commission établit que la réconciliation ne sera pas une mince affaire dans le contexte actuel. « Trop de Canadiens savent peu ou prou des profondes racines historiques de ces conflits », rapportent les commissaires qui en profitent pour rappeler que l’histoire des premiers peuples d’Amérique a été dénaturée et déviée de son sens.

Après avoir pris connaissance des conclusions et des recommandations du Rapport, les représentants de la communauté de Mashteuiatsh se sont dit soulagés et ils en ont profité pour qualifier les pensionnats autochtones, qui sont à la base de cette enquête, de « génocide culturel ». Parlant des souffrances qu’il a lui-même subies dans ces horribles pensionnats, l’ancien chef de la réserve, Clifford Moar, a demandé que « cette histoire-là soit enseignée chez nous [et] chez nos voisins », et il a rappelé, à juste titre, qu’il faut d’abord savoir ce qui s'est passé. 
Personnellement, je souscris aux souhaits de MM. Moar et Dominique et je compatise avec tous ceux et celles qui ont subi le mépris, connu l’humiliation et enduré les atrocités dans ces pensionnats. À ces égards, le silence n’est évidemment pas une option et je m’empresse de saluer les efforts menés par les commissaires qui en appellent à la réconciliation. De toute évidence, cette entreprise ne peut passer que par le chemin d’une mémoire autochtone dépoussiérée de ses vieux fantômes, libérée de ses silences et de ses oublis.
Comme Lien de Mémoire des Métis de ma région, j’ajoute ma voix à celles des chefs des Premières nations qui parlent au nom de leurs peuples. Je les appuies dans leurs demandes, mais je leur rappelle qu’ils n’ont pas l’exclusivité de ces injustices et qu’ils devront ajouter, dans la liste de ces oublis, les souffrances des Métis du Québec qui, depuis la fameuse loi de 1851, ont été à la fois soustraits des registres officiels de l’État et amenés à étudier une histoire dénaturée dans laquelle ils n’existaient plus.
Notre histoire est commune, notre mémoire appartient à celle d’une rencontre ; c’est celle d’un partage, d’une alliance, d’une vieille amitié et d’une mort à petit feu programmée de longue date dans les lois du pays. Nous ne voulons pas prendre la place de qui que ce soit ; nous voulons simplement prendre celle qui nous appartient et qui nous revient. Nous voulons être considérés avec justice et nous entendons être reconnus comme l’histoire nous le doit, comme étant celle de l’un des peuples fondateurs de ce continent et de notre région. L’histoire des Indiens du Canada ne peut donc s’expliquer et se raconter sans la nôtre, et ce serait mensonge que de vouloir la raconter autrement.
Les Métis, parce qu’ils ont pris une autre voie que celle des réserves où se sont retrouvés plusieurs autres Autochtones, n’y ont pas échappé eux aussi. Comme les Indiens, ils ont été broyés dans l’histoire officielle du pays. Comme eux, ils ont été amenés à s’écraser. Comme eux, ils ont été dépouillés de leurs droits ancestraux. Certes, nous avons pris une voie différente. Certes, nous nous sommes associés aux arrivants et aux entrepreneurs de la forêt dans laquelle nous étions toujours chez nous. Mais nous n’avons pas renoncé pour autant à notre identité, à nos droits et à notre histoire.
Russel Bouchard
Lien de Mémoire des Métis
21 juin 2015