jeudi, avril 20, 2006

Les Métis canadiens, à l'heure de la réconciliation nationale (il ne manque plus que le repentir de l'État !)

S'identifier Métis et, pour cela, en être fier, voilà le premier pré-requis (de trois) édicté par la Cour suprême du Canada, dans Powley, pour être reconnu comme tel. Pour plus d'un, maintenant que le phénomène est à la mode, ce geste d'auto affirmation pourrait sembler anodin. Mais, pour des gens qui, comme moi, ont vécu toute leur vie durant dans ce devoir de silence pour ne pas subir l'opprobre de la société coloniale dans laquelle j'évoluais, ce premier geste d'affirmation ne se fait pas sans douleur et fait partie du processus de réconciliation nationale eu égard à un épisode pas très reluisant de l'histoire du Canada, un épisode qui, du reste, est toujours en train de s'écrire. Décidément, on ne frotte pas des cicatrices d'une si grande plaie et encore si vives sans éveiller de vieilles douleurs, et sans devoir rappeler que ce silence, dont on a été tenu de pratiquer dès le plus jeune âge comme une sorte de réflexe d'auto-défense, n'est pas sans explications. À ce correspondant Métis qui me demande si c'est « un trait culturel propre aux peuples opprimés de taire leur origine ? », je dirai « oui », évidemment, mais encore faut-il relativiser en fonction de l'expérience historique propre à chacun d'eux.

L'explication nous concernant en propre réfère à des principes fondamentaux et concerne, par le fait-même, toutes les institutions sur lesquelles reposent l'équilibre d'une société. Se dire Métis et d'ascendance indienne était réprouvé par l'Église catholique canadienne-française, qui y voyait la preuve manifeste d'une indépendance d'esprit et d'une culture divergente représentant à ses yeux une véritable menace à l'intégrité de son monopole ; cela était tout autant réprouvé par les institutions politiques coloniales, qui étaient en train de récupérer leur souveraineté sur l'ensemble du territoire canadien, dont l'Ouest et le Nord ; et cela était évidemment réprouvé par tous ces gens, agriculteurs, affairistes, commerçants et industriels, par qui passait le principe de l'affirmation de la souveraineté coloniale, un peuple migratoire euro-canadien dont les intérêts de la conquête du sol télescopaient de plein fouet une manière d'occuper, d'exploiter et de vivre sur ces territoires jusqu'alors « sauvages ». Et cette réprobation a atteint le point de non retour avec la pendaison de Riel, en 1885, un événement qui a marqué les esprits et la société canadienne beaucoup plus profondément qu'il a été estimé jusqu'à aujourd'hui par les historiens qui n'ont pas encore compris la puissance de la symbolique de ce geste extrême perpétré officiellement avec le concours des plus hautes institutions nationales.

Nous faisons donc face, non pas à un épiphénomène d'assujettissement idéologique, politique, économique et militaire de la collectivité dominante eu égard à des communautés affaiblies et minoritaires (Métis et Indiens), mais à un phénomène de conquête absolue.

Ayant assez bien saisi le sens de cette déviance sociétale historique et ayant fort bien senti l'ampleur de ce drame ethnocidaire dont le gouvernement colonial britannique et son tutélaire canadien sont coupables, la Cour suprême a donc joué sur le seul tableau où elle est habilitée à agir ; soit de protéger les minorités, les groupes et les individus défavorisés et persécutés, de la tyrannie de l'État. Et c'est ce qui explique —le principe est ici fondamental, donc universel— l'édiction d'un préjugé favorable jurisprudentiel envers ces groupes humains minoritaires et fondateurs qui, après avoir été persécutés, n'avaient pas le choix de se replier sur eux mêmes et de tâcher de survivre à l'invasion colonisatrice contre laquelle ils ne pouvaient strictement rien. Et, comme l'ours noir qui hiberne d'instinct pour survivre à un hiver qui appelle à la mort (la symbolique de la cérémonie du réveil du 21 juin 2005, sur le site du cimetière du poste de traite de Chicoutimi, explique avec beaucoup de pertinence le phénomène de réveil dont nous sommes les témoins), il a fallu un premier rayon printanier (appelons-le Powley) pour sonner le rappel à la vie d'une force qui attendait son heure.

Cela dit, si les Métis du Canada se montrent particulièrement prêts à procéder à la réconciliation nationale afin de pouvoir se remettre en route, cette réconciliation ne peut évidemment pas s'opérer seule, car qui dit peuple opprimé dit également pouvoir oppresseur. Et, pour l'heure, l'État oppresseur (le Canada et le Québec) ne semble pas vouloir reconnaître ni ses torts, ni ses malversations, ni ses manquements à notre endroit, ce qui le met davantage coupable envers l'histoire qui s'écrit puisqu'il en est conscient...

Russel Bouchard

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Bien le bonjour M. Bouchard

Je comprends très bien votre message. Je suis de la communauté Métis de Yamachiche, plus communément appelé, petit village de Yamachiche, petite mission, village des magoua. Notre communauté fait face a sont passé, a sont identité étouffé, trop longtemps cachés. Les voix du passées nous guideront vers notre futur.

Salutation

Steve Blanchette, un esprit Métis libre