dimanche, février 19, 2006

Création de la réserve de Pointe-Bleue

La nouvelle réalité autochtone saguenéenne et jeannoise : création de la réserve indienne et métisse de Pointe-Bleue

Il ne s’agit pas ici de contester la pertinence du futur traité appelé à une signature sur cette base d’ici la fin de 2006, ce qui a déjà été fait avec force vigueur depuis le 14 juillet 200095. Mais bien, pour un, d’évaluer le parcours historique de ceux qui réclament, en exclusivité, les titres et privilèges de ce « pays » au nom du peuple Ilnut comme s’il eut été le seul ayant droit au titre d’autochtone, et, pour deux, de vérifier la santé du peuple métis de ce même « pays ». Un peuple dont l’existence a été niée par les historiens inféodés envers les valeurs judéo-chrétiennes du temps (nous avons déjà cité les noms de Sulte, Ferland, Groulx, Leclerc, mais il y en a d’autres) ; un peuple évacué du panorama politique québécois pour des motifs jugés nationaux à une certaine époque mais non acceptables dans le contexte d’aujourd’hui ; un peuple qui, à l’aube du troisième millénaire a décidé de sortir du tombeau de l’oubli et de réclamer son droit à l’existence tel que commandé par la nouvelle réalité, une existence du reste assurée par les articles 27 (consacré « au maintien et à la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ») et 35 (protection du peuple métis, au même titre que les peuples indien et inuit) de la Constitution canadienne.

L’« Entente de principe d’ordre général » signée au Château Frontenac le 31 mars 2004, entre « les Premières nations de Mamuitum et de Nutashkuan », le gouvernement du Québec et celui du Canada, statue, par elle-même et sans plus d’explication, que la population autochtone du Nitassinan (entendons le Saguenay–Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord) se résume aux seuls « Indiens » (entendons Indiens-métis) y vivant. Ces gens se réclament des Premières nations et exigent, rien de moins, que l’exclusivité des droits ancestraux tels que définis par l’article 35 de la Constitution canadienne assisté de la jurisprudence établie par les jugements de la Cour suprême ; ils se prétendent comme les seuls ayant droit à ce titre. Cette population, dite aborigène, compte donc, à l’heure de la signature de ladite entente, 14 492 Ilnutsh, répartis entre les réserves de Mashteuiatsh (4 555 individus), Uashat-Maliotenam (3 183), Betsiamites (3 147), La Romaine (913), Natashquan (819), Matimekosh-Lac-John (771), Mingan (463), Essipit (382), Pakuashipi (259). Et, puisque cela nous concerne plus spécifiquement, isolons de cette somme les 4 555 Ilnutsh (soit 31% de la population autochtone de ce « pays ») regroupés au sein de la collectivité de Mashteuiath (l’ex Pointe-Bleue) ; dont 1 960 « Indiens » résidents (soit 43%) et 2 595 non-résidents (soit 57%).96

Mais d’où viennent donc tous ces « Indiens » qui, par la Loi sur les Indiens votée par le Parlement canadien en 198597, ont été officiellement reconnus comme tels, c’est-à-dire des « autochtones » ?

De toute évidence, la question reste pratiquement entière à cette heure-ci. Et il incombe aux historiens de s’y consacrer avec autant de célérité que nourris du souci de comprendre le vrai fond des choses ; pour tâcher, dans un premier temps, de rétablir une certaine harmonie entre les préjugés véhiculés par le temps, la vérité historique toute simple et la réalité tripotée par les politiques aidés du discours de certains professionnels de l’histoire qui présentent leurs conclusions comme des vérités absolues ; et pour éviter, dans un second temps, de créer une grandiose injustice imposée au peuple métis du Saguenay–Lac-Saint-Jean–Côte-Nord soudé à une même culture euro-amérindienne et partageant ce même espace territorial.

Ce que nous savons par contre à cet égard, compte pourtant parmi la plus évidente des réalités, à l’heure de l’ouverture du Lac-Saint-Jean à la colonisation agricole et industrielle, en 1849. Bien que le peu qui reste de cette population —désormais plus sédentaire que nomade— se résume à moins de cinquante membres, tous pressés par les événements et les contraintes gouvernementales à se regrouper au sein d’une même communauté, la « réserve indienne » proprement dite98. Cette réserve demandée avec tant d’insistance par les membres de cette communauté, fut d’abord établie (en 1853) aux embouchures des rivières Métabetchouan (4 000 acres de terre) et Péribonka (16 000 acres de terre)99, puis finalement déplacée sur une demande de leur part et par un ordre en conseil du 6 septembre 1856 dans le canton Ouiatchouan, « à la Pointe Bleue sur le lac, afin de leur laisser la libre jouissance de la pêche dans ses eaux, qui contribue si essentiellement à leur procurer les moyens de subsistance »100.

Cela dit, le Recensement fédéral de 1851101 (ce qui nous reporte donc cinq ans avant la création de la réserve de Pointe-Bleue), établit la population autochtone régionale, « indienne » et « métisse » (des groupes ethno-culturels nommément identifiés comme tels), à plus ou moins 43 individus : dont une quinzaine de personnes se déclarent être des « Indiens » ou « Sauvages » ; une autre quinzaine des « Métis » ; quelques-uns simplement des chasseurs bien qu’ils soient de toute évidence des Métis ; et quelques autres n’ont aucun qualificatif si ce n’est que les espaces vides représentent des Idem, ce qui les situe invariablement en l’état de Métis102 (la plupart de ces derniers se retrouvant du reste à travers les familles Verrault, Buckell, Hatchemback, Connoly et McKay).

Certes, ce chiffre n’a rien d’un absolu. Et il est tout à fait plausible, cela est du domaine du possible, que certains Indiens aient été absents lors du passage de recenseur fédéral, que certains individus se soient présentés autrement et que plusieurs Métis en aient fait de même pour une raison et pour une autre. Quoi qu’il en soit, qu’il y en ait un, deux, trois ou quatre de plus que ce qui est noté officiellement n’a pas beaucoup d’importance eu égard à la question posée. Non, ce qu’il importe de retenir d’abord à la lecture de ce premier Recensement fédéral, c’est qu’à ce moment précis, en 1851, des personnes et des familles se sont déclarées spécifiquement, soit « Indiens » soit « Métis » (pour preuve, référer à l’Annexe 7), et que ces précisions, qui témoignent d’un sentiment d’appartenance ethno-culturelle collectif spécifique, sont explicitement notées par le recenseur de l’État fédéral.

Et ce que suggère le Recensement fédéral de 1851 au niveau de la reconnaissance du fait métis au Saguenay–Lac-Saint-Jean est loin de relever du simple hasard, si l’on tient compte de certains textes officiels postérieurs à la création de la réserve indienne de Pointe-Bleue, qui notifient, encore et toujours, la présence de Métis censés jouir et bénéficier des mêmes droits que leurs congénères dits « Indiens ». Pour convaincre les septiques, lisons d’abord ce premier extrait d’un document officiel émanant des bureaux du gouvernement canadien :

« Néanmoins, sur une demande de leur part un ordre en conseil en date du 6 septembre, 1856, a changé leur réserve pour une égale étendue de terre située à la Pointe Bleue sur le lac, afin de leur laisser la libre jouissance de la pêche dans ses eaux, qui contribue si essentiellement à leur procurer les moyens de subsistance.
En conséquence, quelques familles de race mêlée se sont établies dans cette localité, en ce qu’elle offre un sol propre à la culture et une pêche abondante.

Cependant, la culture de la terre ne constitue pour eux qu’une occupation secondaire ; ils vivent presqu’entièrement du produit de leur chasse, et vendent pour subsister leurs pelleteries dans les divers postes de la compagnie de la Baie d’Hudson. L’on suppose qu’il existe ici trente-trois familles dont le chiffre s’élève à 173 âmes, et cinq autres à Chicoutimi. […]
[Cette tribu de Montagnais] ne compte qu’un petit nombre de métis dans son sein. Cette race s’éteint rapidement, 300 membres de cette tribu étant morts depuis 10 ans, dont la moitié a péri de la faim. Les épidémies qui les déciment sont la fièvre et la petite vérole qui, une fois contractées, en emportent un grand nombre. »
103.

Et pour nous assurer que ces mots n’ont pas été des erreurs de parcours, lisons cet autre extrait de document déposé en Appendice dudit Rapport, qui est en fait un compte rendu rédigé par David E. Price (alors député de Chicoutimi et Tadoussac depuis le 26 avril 1855), et signé à Chicoutimi le 14 novembre 1857 :

« Quelques métis se sont établis sur la nouvelle réserve indienne à la Pointe Bleue, etc. ; ils ont déjà construit des maisons et des granges, et fait beaucoup de terre-neuve. L’année dernière ils y ont récolté asses de blé, d’orge et de patates pour suffire aux besoins de leurs familles pendant la plus grande partie de l’année. Cette année, la récolte ne sera pas aussi abondante, mais j’apprends qu’elle suffira à leurs besoins. Cependant il n’est pas dans la nature du sauvage pur sang [sic] de cultiver la terre, et il y a tout à parier que cette tribu qui a conservé toute la pureté primitive du sang indien, et toute l’indolence sauvage du désert, ne s’adonnera jamais à la culture. »104.

Cette suite de textes (Recensement, Rapport, Lettre) se passe de commentaires. Pour un, ces documents officiels précisent, noir sur blanc, l’existence de Métis ; pour deux, ils leur reconnaissent des droits d’occupation et d’exploitation du territoire ; et, pour trois, ils notifient la reconnaissance de l’État canadien à ces égards et sans nuire au désir légitime de certains de s’identifier à la collectivité indienne. Quoi dire de plus, si ce n’est de rappeler, la preuve a été établie dans les pages précédentes que, s’il y a des familles indiennes qui se réclament de cette identité, il y a également des familles métisses grouillant tout autour de Chicoutimi qui se réclament de la leur en propre ; des familles métisses plus vivantes que jamais ; des familles qui essaiment comme jamais et qui se distinguent culturellement de celles qui ont décidé de migrer à Pointe-Bleue ; des familles qui poursuivent de plus belle leurs activités culturelles ; des familles qui, de surcroît, ont entrepris de s’adapter à l’irrépressible poussée d’industrialisation et de colonisation qui a débuté en 1842 et qui prend de l’ampleur…

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