dimanche, février 19, 2006

Deuxième phase de métissage

Deuxième phase de métissage euro-amérindien
au Saguenay—Lac-Saint-Jean : la pulsion écossaise à l’époque de McLaren


Le rapport signé par l’intendant Hocquart en 1733 en fait foi avec une rare éloquence70 : malgré tous les efforts déployés conjointement par les autorités coloniales, par les propriétaires de la Traite de Tadoussac et par les missionnaires pour tâcher de rétablir la population autochtone du Saguenay–Lac-Saint-Jean déjà marquée par les spasmes apocalyptiques du siècle précédent, l’effondrement démographique n’a pu être jugulé. N’eut été des Canadiens et des Métis euro-amérindiens venus combler, encore une fois, les lits évidés au sein des dernières familles de Métis et d’Indiens de Chicoutimi, du Lac-Saint-Jean et de l’Ashuapmu-shuan, il est permis à l’Histoire de se questionner sur la suite des événements. En 1763, cela a déjà été écrit également dans Le dernier des Montagnais71 et jamais démenti avec l’éloquence du génie, lorsque le roi d’Angleterre signait la Proclamation royale ; il ne restait pas 40 enfants des bois voire 30, tant Métis qu’Indiens, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Et ce n’est que par l’apport d’un sang nouveau —le profil généalogique de la population autochtone régionale en fait foi— venu de quelques Canadiens français débarqués à la suite des premiers, de quelques Écossais (arrivés sur le tard du XVIIIe siècle et au cours du XIXe), et de quelques Indiens venus de la Côte-Nord voire du pays des Naskapis72, que cette Histoire a pu suivre son cours en évitant le pire du drame.

Le journal tenu, entre 1800 et 1804, par l’Écossais Neil McLaren, alors qu’il était en charge des postes de traite du Saguenay–Lac-Saint-Jean, donne une assez bonne idée de l’ossature démographique et de la structure de la société saguenéenne en ces heures de renouveau73. Il témoigne, à lui seul, de l’organisation d’une société harmonisée en fonction d’une collectivité métisse et d’une collectivité indienne qui ont leurs propres habitudes, leurs aires d’occupation et leurs chefs. En plus de s’inscrire dans un des épisodes les plus marquants de l’histoire de l’Amérique du Nord, le journal de McLaren produit effectivement une photogravure épurée de la société chicoutimienne d’alors et témoigne, à sa façon, des traits de caractère de la vie quotidienne dans ce poste de traite de la frontière nord (Chicoutimi), des us et coutumes du milieu, des particularités de la faune et de la flore. La petite société, peu nombreuse mais tout de même hautement hiérarchisée, se divise en trois segments ethniques : au sommet de l’échelle sociale se trouvent les « engagés », viennent ensuite les « gens libres » qui sont qualifiés ainsi à cause de leur union avec une indienne ou à cause de leur condition de Métis, et enfin les « Indiens ».

La première cellule, exclusivement masculine et essentiellement exogène au milieu, compte rarement plus de six membres : toujours des blancs, français ou écossais venus de Québec pour exécuter la tâche définie par l’employeur et pour le terme de leurs contrats respectifs. Au sein de cette fratrie particulièrement précaire et volage, on retrouve d’abord et avant tout un commis, maître incontesté de céans et écossais pur tartan pour l’heure. Cet homme est chef suprême des lieux —après le «superintendant» Stuart évidemment... et Dieu s’il y croit. Il trône sur quatre engagés à la fois, tous Canadiens ou Métis, qui sont en mesure de répondre à tous les besoins du poste, et enseigne les rudiments de son art à un garçon qui fait office d’apprenti, d’aide de camp, de mousse, de chasseur et de commissionnaire. Au cours de l’administration de Peter Stuart (1786-180274), ces subalternes se nomment Jullien, Chamberlant, Lagrange, Baillargeon, Dugal, Riverin, Gosselin et Savoie ; alors que sous l’administration Shaw (1802-180875), ces noms sont remplacés graduellement par Crépeaux, Tranquille, Dionne, Robillard, Dufresne. Élément singulier qui mérite d’être souligné, en plus d’être totalement affranchie de femmes cette classe ne compte aucun autochtone dans ses rangs.

La deuxième cellule de la société chicoutimienne, celle des « gens libres », forme un petit peuple en soi qui se retrouve en deux ou trois familles —ou plutôt des clans— métissées et issues d’un mariage contracté souvent à la « mode du pays », entre un homme blanc et une Indienne (jamais le contraire). Par leur statut particulier —Métis par alliance ou de naissance—, qui les libère de l’emprise du monopole des fourrures, ces gens qui sont à la base d’une nouvelle communauté ethno-culturelle au sein de la communauté régionale, habitent la région depuis les premiers contacts et n’ont pas à justifier leur présence dans la région : en raison de leur ascendance amérindienne ou métisse, de leur alliance conjugale et de leur progéniture métissée qui s’ajoute à ces autres depuis la fondation du poste de traite de Chicoutimi, ils occupent le territoire au même titre que les Indiens, peuvent conséquemment planter leur tente ou construire leur hutte où bon leur semble, chasser et pêcher en tout temps de l’année pour satisfaire à leurs besoins primaires ou pour leur propre profit. À n’en pas douter, ils perpétuent le noyau de la collectivité métisse du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

À Chicoutimi, à l’heure qui nous occupe, deux unités familiales, des clans établis dans le giron du chef qui est aussi le plus vieil homme du groupe, forment l’ossature de ce modeste noyau : la famille de Jérôme Saint-Onge*, et celle de François Verrault*, deux « Saguenéens » plus Indiens que Blancs. Le premier est un coureur de bois dans le sens profond du terme ; il connaît l’arrière-pays comme le fond de sa poche, le court avec grande aisance hiver comme été, beau temps mauvais temps, mais garde un pied-à-terre tantôt à Chicoutimi, tantôt à Métabetchouan pour meubler son sentiment d’appartenance. Et le second vit en permanence avec sa fée des bois et la progéniture qu’elle lui a donnée dans leur cabane des Terres-Rompues où ils règnent en seigneurs en tous temps de l’année. Au milieu d’eux, un solitaire, Métis sans compagne rendu à bout d’âge, occupe le rôle de sage et meuble en quelque sorte l’âme sacrée des lieux : c’est nommément le cas de Louis Verrault, surnommé le « Vieil Homme », l’oncle de François, à vrai dire une mémoire vivante qui prend sa pipée comme bon lui semble en regardant passer les outardes avec les saisons, répare filets et raquettes et se rend utile du mieux qu’il peut au sein de la communauté.

Bien qu’il ne tienne pas compte des Métis qui portent un nom indien et qu’il a assimilés à la population indienne d’alors, le recensement nominatif colligé en juillet 1839 par l’abbé Doucet (voir Annexe 6), le missionnaire des lieux, dénombre au moins 35 familles métisses (le terme est nommément confondu d’un recensement à l’autre) vivant en permanence au Saguenay–Lac-Saint-Jean. À Chicoutimi, on note dans ce registre officiel la présence de Joseph Hatchimbac et de sa femme, assurément une Indienne ou une Métisse ; de Jérôme St-Onge, sa femme indienne et leurs deux enfants, qui occupent l’espace des Terres-Rompues ; de Cyriac Buckell, sa femme indienne ou métisse et leurs trois enfants, qui occupent l’espace du lac Kénogami ; de William Connaly (nommément qualifié de « Métis » dans le recensement), sa femme indienne ou métisse et leurs deux enfants, qui accompagne McLeod lors de l’équipée de 1842, et qui vit avec sa Montgnaise sur les bords de la rivière Chicoutimi76 ; de Joseph Denis, un Métis micmac (ou plutôt un Malécite) qui vit seul ; d’Édouard St-Onge (nommément qualifié de « Métis » dans le recensement), en parenté avec le premier, qui vit là avec sa femme. À Métabetchouan, le recensement nomme Jacob Dechesne, sa femme indienne ou métisse et leurs huit enfants ; et Simon Ross, qui file parfait bonheur avec sa fée des bois. Et dans l’Ashuapmushuan, il est nommément question du « Métis » (ainsi qualifié) Joseph Verrault, sa femme et leurs deux enfants.77

Et la troisième cellule constituant cet autre bras de l’ossature de la société chicoutimienne, démographi-quement la plus importante en nombre, celle des « Indiens » (dont la plupart des familles se confondent dans les familles métisses), se divise elle-même en deux groupes : d’abord les sédentaires qui ont appris à vivre autour de Chicoutimi où ils chassent et pêchent une partie de l’année en partageant le territoire avec les Métis, font des canots, des raquettes, des mocassins et des courses pour les besoins du poste et tirent au flanc dans les environs le reste du temps en espérant recevoir quelques douceurs du commis et une lampée de whisky ; et ensuite les nomades, le gros de la troupe, des Indiens dans le sens culturel du terme, qui descendent au moins une fois l’an pour trafiquer leurs fourrures, fraterniser avec leurs cousins du Saguenay et d’ailleurs, faire la foire et rencontrer le missionnaire.

Selon ce qui ressort de l’examen des noms relevés dans le journal de McLaren, le poste trafique avec une quarantaine de familles majoritairement composées de Montagnais plus ou moins métissés (mais qui ont gardé les noms autochtones en raison de l’ascendance paternelle qui les identifie), de migrants venus du sud au XVIe siècle (Mics Macs, Hurons, Abénakis et Naskapis), et de Métis de vieilles souches (et les Fontaine, Jérôme, Joseph, Nicolas et Zachariah qui sont nommés dans le présent journal témoignent justement de cette alliance inter-ethnique).

Ces bandes itinérantes, évaluées à au moins quatre unités, vivent dans une certaine harmonie sur la base des territoires de chasse et de trappe distribués selon les termes définis par l’histoire, la tradition et les particularités hydrographiques du milieu où elles évoluent : à l’est, c’est-à-dire dans le périmètre immédiat du poste, se trouve évidemment la bande de Chicoutimi, qui comprend les territoires de chasse du Bas-Saguenay, définis à partir des affluents Shipshaw, au Sable, Chicoutimi, du Moulin, au Caribou et Valin ; au sud du poste de traite, se trouve la bande du lac Kénogami, qui gère les tributaires du plan d’eau (rivières Cyriac, Chicoutimi sud, aux Écorces) ; au centre, se trouve la bande du lac Saint-Jean, qui regroupe les familles réparties autour du Piekouagami et le long de ses tributaires (rivières Ouiatchouan, Grande Décharge, Péribonka, Métabetchouane, Mistassini, aux Rats et Mistassibi) ; et à l’ouest se trouve la bande de l’intérieur des Terres (ou bande d’Ashuapmushuan), qui comprend les familles indiennes évoluant dans le périmètre des lacs Ashuapmushuan, Nicabau et Mistasini et de leurs tributaires.

Chacune des bandes est chapeautée par un chef —masculin de toute évidence— qui n’a manifestement plus le panache des chefs d’antan et qui ne semble pas avoir beaucoup d’ascendance sur ses congénères. De fait, le rôle principal de ces meneurs revêt un caractère plus symbolique qu’efficient ; il consiste plutôt à marquer la cohésion du groupe lors des rassemblements printaniers et, plus spécifiquement, à assurer le respect des territoires de chasse et de trappe familiaux. Ainsi, la bande de Chicoutimi est dirigée par le chef François Tsherinu, celle du lac Kénogami par Grégoire Ustequan, et celle du lac Saint-Jean par Mirabiwite. Quant à la bande (ou les bandes ?) de l’intérieur des Terres, le nom du (ou des) meneur (s) ne s’est pas transmis jusqu’à nous. Et selon ce qui ressort du journal de McLaren, chacune des rivières importantes accueille environ deux familles qui vivent parfois sous la même tente. Et même si les guerres indiennes appartiennent à l’histoire depuis la signature de la paix iroquoise en 1701, deux Indiens de la bande montagnaise de Chicoutimi, fils de Ukinikushu, se prévalent encore du titre honorifique de « guerriers ».

2 commentaires:

Anonyme a dit...

tu connais rien bouchard toi tu viens d'où!!!!!!!!!
René Buckell

Anonyme a dit...

Alors dites-moi tout ce que vous savez et je saurai tout !

R.B.