lundi, février 20, 2006

En 1831, Tocqueville avait remarqué l'existence de ce peuple nouveau, le peuple Métis

À cette époque, l'Amérique du Nord n'avait pour frontières que celles qui avaient été découpées par les puissances coloniales et impériales venues d'Europe. L'Ouest comme le Nord, ouvert à une ère nouvelle par des gens d'une espèce humaine nouvelle venus du Saint-Laurent, des gens plus grands que nature, les Canadiens français ; l'Ouest comme le Nord étaient alors le grand Pays des Métis, des Indiens et des Inuits. Ce n'est qu'après que des étrangers se soient partagés le continent sans tenir compte de notre réalité et de nos existences, que notre Pays s'est fragmenté pour nous être volé. Et aujourd'hui, dans un éventuel traité (l'Approche commune) que des politiciens étrangers veulent signer sans notre accord, on voudrait nous faire croire que cela est pour notre bien.

Foutaise tout ça ! Comment un peuple (le peuple Métis) peut-il être gagnant dans un marché où des étrangers décident de son avenir et du partage de sa propre Terre, sans lui demander son avis et son accord, en faisant comme si ce peuple n'existait pas, et en semant la discorde entre les membres d'une même famille qui y vivaient pourtant dans la plus parfaite des harmonies ? Nous étions-là avant, nous sommes là aujourd'hui, et nous entendons être là demain. Et si cela n'est pas inscrit dans le traité, si nous n'y sommes pas reconnus comme peuple et partie prenante de cet accord, ce traité ne pourra qu'ajouter des malheurs nouveaux à ceux que nous vivons déjà, il ne sera pas le bienvenu et nous ne le reconnaîtrons pas comme valide qu'on se le dise !...

Russel Bouchard
Le Métis


« À l’autre bord de la Saginaw [remplacez par Ashuapmushuan, Saguenay ou Manicouagan], près des défrichements européens et pour ainsi dire sur les confins de l’ancien et du Nouveau Monde s’élève une cabane rustique plus commode que le wigwam du sauvage, plus grossière que la maison de l’homme policé. C’est la demeure du métis. Lorsque nous nous présentâmes pour la première fois à la porte de cette hutte à demi civilisée, nous fûmes tout surpris d’entendre dans l’intérieur une voix douce qui psalmodiait sur un air indien les cantiques de la pénitence. Nous nous arrêtâmes un moment pour écouter. Les modulations des sons étaient lentes et profondément mélancoliques ; on reconnaissait aisément cette harmonie plaintive qui caractérise tous les chants de l’homme au désert. Nous entrâmes. Le maître était absent. Assise au milieu de l’appartement, les jambes croisées sur une natte, une jeune femme travaillait à faire des mocassins ; du pied elle berçait un enfant dont le teint cuivré et les traits annonçaient la double origine. Cette femme était habillée comme une de nos paysannes, sinon que ses pieds étaient nus et que ses cheveux tombaient librement sur ses épaules. En nous apercevant elle se tut avec une sorte de crainte respectueuse. Nous lui demandâmes si elle était Française. « Non, répondit-elle en souriant. —Anglaise ? —Non plus, dit-elle ; elle baissa ses yeux et ajouta : Je je nuis qu’une sauvage. » Enfant de deux races, élevé dans l’usage de deux langues, nourri dans des croyances diverses et bercé dans des préjugés contraires, le métis forme un composé aussi inexplicable aux autres qu’à lui-même. Les images du monde lorsqu’elle viennent se réfléchir sur son cerveau grossier, ne lui apparaissent que comme un chaos inextricable dont son esprit ne saurait sortir. Fier de son origine européenne, il méprise le désert ; et pourtant il aime la liberté sauvage qui y règne. Il admire la civilisation et ne peut complètement se soumettre à son empire. Ses goûts sont en contradictions avec ses idées, ses opinions avec ses mœurs. Ne sachant comment se guider au jour incertain qui l’éclaire, son âme se débat péniblement dans les langes d’un doute universel ; il croit au Rédempteur du monde et aux amulettes du jongleur ; il arrive au bout de sa carrière sans avoir pu débrouiller le problème obscur de son existence.

Ainsi donc dans ce coin de terre ignoré du monde la main de Dieu avait déjà jeté les semences de nations diverses ; déjà plusieurs races différentes, plusieurs peuples distincts se trouvent ici en permanence.

Quelques membres exilés de la grande famille humaine se sont rencontrés dans l’immensité des bois, leurs besoins sont communs ; ils ont à lutter ensemble contre les bêtes de la forêt, la faim, l’inclémence des saisons. Ils sont trente à peine au milieu d’un désert où tout se refuse à leurs efforts, et ils ne jettent les uns sur les autres que des regards de haine et de soupçon. La couleur de la peau, la pauvreté ou l’aisance, l’ignorance ou les lumières ont déjà établi parmi eux des classifications indestructibles ; des préjugés nationaux, des préjugés d’éducation et de naissance les divisent et les isolent.

Où trouver dans un cadre plus étroit un plus complet tableau des misères de notre nature ? Il y manque cependant encore un trait.

Les lignes profondes que la naissance et l’opinion ont tracées entre la destinée de ces hommes, ne cessent point avec la vie, mais s’étendent au-delà du tombeau…
Alexis de Tocqueville, «Quinze jours dans le désert» américain, 1831.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

M. Bouchard,

Je ne veux pas vous relancer, mais je lis présentement «Voyage dans le Canada ou Histoire de Miss Montaigu» de Frances Brooke, aux éditions Boréal Compact Classique. Ce livre est considéré au Canada anglais comme le premier roman canadien; il serait peu connu au Québec.

L'histoire, dans le style épistolaire, se déroule tout de suite après la conquête, entre les années 1763 et 1767 puisque l'auteure a séjourné à Québec en ces années. Il faut rappeler ici que Québec avait été fondée en 1608; donc plus de cent ans plus tard.

L'auteure, une Anglaise du Lincolnshire, témoin visuel, souvent méprisante à notre endroit , note plusieurs années avant de Tocqueville ceci :

(...)Les paysans sont en général grands et robustes, quoique d'une excessive indolence; ils aiment la guerre et craignent le travail; ils sont hardis, braves, alertes dans les champs, et paresseux, lâches, inactifs dans leurs foyers; ils ont encore cela de semblable avec les Sauvages, dont ils semblent d'ailleurs avoir pris toutes les manières. (...)

Déjà à cette époque, un témoin constate que les Canadiens ou Français, comme l'Anglais les appelle, témoigne de la réalité métisse.

Cependant, je signalerai à vos lecteurs que ce livre connu surtout au Canada anglais a sans doute été à la base des préjugés entrenus depuis fort longtemps par le conquérant à notre endroit.

Anonyme a dit...

Voilà le genre littéraire qu'il me plaît de parcourir. La correspondance donne une dimension particulièrement dynamique de l'histoire qu'elle prend à prétexte. Quand j'écris des lettres ouvertes ou des lettres à des amis, j'ai toujours en moi cette idée que je place une pièce à la courtepointe de mon propre récit.

Tout dernièrement, j'ai mis la main sur un livre du genre que vous évoquez, où le théâtre se passe en pleine guerre de la Conquête, entre 1756 et 1763. Le titre, « La haute aventure de Guillaume de Palmoye (1756-1763) », de Louis-Raoul de Lorimier, publié à Montréal, chez Granger Frères, en 1930. Absolument génial. L'auteur utilise les lettres de grands acteurs de ce théâtre funeste (Lévis, Montcalm, Vaudreuil, Dumas, Etc.). À lire absolument, pour quelqu'un qui veut se faire une idée de cet effondrement. Des odeurs de poudre de guerre mêlée aux parfums des prés de la Nouvelle-France, tout ça dans une ambiance presque champêtre.

Russel Bouchard